jeudi 29 mai 2008
Les médias français et le Proche-Orient Acharnement contre Charles Enderlin Le
30 septembre 2000, deuxième jour de la seconde Intifada, Talal
Abu-Rahmeh, qui travaille pour France 2, se trouve au carrefour de
Netzarim, au centre de la bande de Gaza. Soudain, une fusillade éclate
entre combattants palestiniens et soldats israéliens : la caméra saisit
la mort d’un enfant dans les bras de son père.
Via les chaînes d’information continue, des millions de
téléspectateurs assistent ainsi à l’agonie du petit Mohamed Al-Dura.
Des images qui symbolisent — pour l’opinion arabe, musulmane et
internationale — la violence de la répression contre le soulèvement
palestinien.
Pour briser cette « icône », les inconditionnels d’Israël
polémiquent d’abord sur l’origine des balles meurtrières. Dans son
commentaire, Charles Enderlin, le correspondant permanent de France 2,
penchait pour l’hypothèse de tirs israéliens — qu’un porte-parole de
l’armée n’exclura d’ailleurs pas. Eux s’efforcent, expertise balistique
à l’appui, d’incriminer les Palestiniens. Avec l’entrée en scène de la
Metula News Agency (MENA), l’affaire bascule. Arguant de la prétendue
absence de quelques minutes de « rushes » du reportage, en fait
entièrement disponible, cette officine basée en Israël prétend qu’il
s’agirait d’une… mise en scène. Heureusement pour elle, le ridicule ne
tue pas.
Pourquoi un journaliste franco-israélien aussi respecté que Charles
Enderlin se serait-il prêté à pareille tromperie ? Outre Mohamed
Al-Dura et son père, des centaines de soldats israéliens et de tireurs
palestiniens auraient-ils participé à cette supercherie, sous les yeux
de nombreux journalistes israéliens et étrangers ? Survivant, l’enfant
aurait-il échappé à l’armée d’occupation, ses légendaires services
secrets et ses dizaines de milliers de collaborateurs ? Non seulement
nos propagandistes ne répondent pas à ces questions, mais ils font mine
d’ignorer que 985 autres enfants palestiniens ont perdu la vie depuis
la fin septembre 2000…
La fable d’un « jeu de rôles » n’a pas une once de crédibilité. Le
tribunal correctionnel de Paris, en octobre dernier, avait donc
logiquement donné raison à Charles Enderlin contre l’un de ses
diffamateurs, M. Philippe Karsenty. La Cour d’appel vient pourtant de
décider, le 26 mai 2008, que les propos tenus par ce dernier portaient
« incontestablement atteinte à l’honneur et à la réputation des professionnels de l’information », mais a admis sa
« bonne foi » et estimé qu’il avait
« exercé son droit de libre critique » et
« n’a pas dépassé les limites de la liberté d’expression ».
Sans avoir, il est vrai, jugé sur le fond, la justice a délivré
ainsi un étrange « permis de diffamer ». Certes, aucun terrorisme
intellectuel ne musellera les intellectuels et journalistes honnêtes
qui, connaisseurs du dossier et habitués du terrain, informent
l’opinion sur la colonisation et la répression israéliennes. Victimes,
avant Charles Enderlin, de ce genre d’attaques, Daniel Mermet, Edgar
Morin, Esther Benbassa et tant d’autres ont tenu bon. Mais ces
campagnes scandaleuses pourraient intimider ceux qui, moins compétents
et moins déterminés, seront tentés d’« arrondir les angles » plutôt que
risquer d’être, à leur tour, ciblés.
Sans parler de l’évolution de la politique proche-orientale de la
France, sous la présidence de M. Jacques Chirac à partir de 2005 et a
fortiori avec le nouvel hôte de l’Elysée. On sent déjà, depuis, les
effets de cette « prudence ». Une nouvelle preuve : durant la semaine
tragique vécue par Gaza fin février-début mars, certains médias ont
beaucoup plus parlé des quatorze victimes israéliennes des Qassam (en
sept ans) que des cent quinze Palestiniens tués par Tsahal (en cinq
jours).
Dominique Vidal
Information,
Justice,
Médias,
Groupe de pression,
France,
Israël,
Palestine,
Proche-Orient