Le bon Pasteur Par Claude Ribbe,
jeudi 3 avril 2008 à 21:59 :: General
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Martin Luther King est lié à des souvenirs de ma jeunesse. J’avais
treize ans. En troisième Latin-Grec dans un grand lycée parisien. Je ne
savais trop ce que je ferais plus tard. Pianiste, peut-être. Ma mère
pensait que des études brillantes ouvraient toutes les portes. J’en
étais beaucoup moins sûr. Aucun Antillais dans le lycée, hormis moi. «-
Tu viens d’où ? » me demandait-on souvent. Un peu trop souvent. Mes
parents étant séparés, j’avais peu de repères. J’aimais bien Luther
King, mais je regrettais Malcom X, plus pugnace, assassiné trois ans
plus tôt. On assassinait un peu trop à mon goût, en Amérique, en ce
temps-là. Mes copains, c’était Lionel (dont le père était du Bénin),
Éric, Thierry, Roger et aussi deux britanniques milliardaires, deux
frères assez allumés que je voyais pendant les vacances. Le lycée
n’était pas mixte, mais on ne pensait pas encore aux filles. Enfin pas
trop. La période, on s’en souvient, était assez agitée dans les lycées
parisiens et il y avait comme un parfum d’incendie qui allait se
propager. Comme on était trop jeunes, on se contentait de regarder et
de critiquer. Dans les couloirs, résonnaient les cris de nos aînés, qui
étaient tous issus de milieux plutôt favorisés : « Ho ! Ho ! Ho Chi
Minh ! Che ! Che ! Che Guevara !». C’est dire que la politique
étrangère américaine n’avait pas trop bonne presse. On a dû apprendre
la nouvelle de l’assassinat de Martin Luther King le lendemain matin à
la radio. Je n’ai pas été étonné. Seulement triste et dégoûté. Le soir
la télévision a diffusé des images. Des émeutes. Des brutalités
policières. Une horreur. Tous mes souvenirs d’enfance sont marqués par
ces images en noir et blanc de policiers lâchant des chiens pour mordre
des Afro-Américains. On parlait de «ségrégation raciale». Je me disais
que l’Amérique, ce n’était pas pour moi. Martin Luther King avait lutté
pour que tout cela change. Qui continuerait son combat, là-bas et même
ici où il me semblait que les choses ne tournaient pas très rond non
plus ? Six ans plus tard, entré à Normale Sup, on m’a proposé une année
à Harvard. Non merci. Il m’a quand même fallu trente ans après la mort
de Martin Luther King pour que je me résigne à traverser l’Atlantique.
Et encore n’étais-je guère rassuré. Lionel gère une grande banque. Mes
deux copains britanniques sont morts depuis longtemps. Le premier d’une
overdose, le second du Sida. Thierry a publié deux romans. Eric aussi.
Son frère est un animateur de télévision très riche et très célèbre.
J’ai revu Roger dans un avion qui m’emmenait à Toulon pour une
signature de livres. C’était lui qui pilotait. En apparence, les choses
ont bien changé en Amérique. En apparence. Ici, les Antillais et les
Afro-Français sont beaucoup plus nombreux dans la rue, dans le métro et
même dans les lycées qui son mixtes à présent. Ils sont beaucoup moins
nombreux au gouvernement et dans les cabinets ministériels, c’est le
moins qu’on puisse dire. Parfois, l’un d’entre eux que je ne connais
pas vient me serrer la main. Mes filles me demandent pourquoi. Alors je
souris et je pense au Pasteur.
Mer 16 Avr - 11:46 par THEOPHILE OBAKER