MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE

Vues Du Monde : ce Forum MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE est lieu d'échange, d'apprentissage et d'ouverture sur le monde.IL EXISTE MILLE MANIÈRES DE MENTIR, MAIS UNE SEULE DE DIRE LA VÉRITÉ.
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Derniers sujets
Marque-page social
Marque-page social reddit      

Conservez et partagez l'adresse de MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE sur votre site de social bookmarking
QUOI DE NEUF SUR NOTRE PLANETE
LA FRANCE NON RECONNAISSANTE
Ephémerides
-50%
Le deal à ne pas rater :
-50% sur les sacs à dos pour ordinateur portable Urban Factory ...
19.99 € 39.99 €
Voir le deal

 

 1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava

Aller en bas 
AuteurMessage
mihou
Rang: Administrateur
mihou


Nombre de messages : 8092
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava Empty
19122007
Message1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava

1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclavage en Afrique

Elikia M'bokolo 1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava Puce2


De la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, le travail forcé
a été général sur le continent africain. Tous les colonisateurs l’ont
imposé. Un phénomène dont on imagine mal l’ampleur.



Elikia M’Bokolo : « le travail forcé, c’est de l’esclavage »

Un entretien avec Elikia M’Bokolo, directeur d’études à l’EHESS, publié dans L’Histoire [1].

Propos recueillis par Séverine Nikel.

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2372



A la veille de la colonisation, l’esclavage était-il totalement aboli sur le continent africain ?

Le commerce extérieur d’esclaves a disparu au cours du XIXe siècle
; les Africains se sont mis massivement à échanger d’autres biens que
les hommes sur le marché international : produits des cultures près des
côtes, au Sénégal, au Nigeria actuel, mais surtout produits de la
cueillette ou de la chasse, qui supposent des transports de lourdes
charges sur des distances parfois longues. C’est ainsi qu’en Afrique de
l’Est, de même qu’en Angola, se forme un « pré-prolétariat » de
dizaines de milliers de porteurs sur lesquels la colonisation naissante
va s’appuyer.


Subsistent toutefois, sur les marges du continent africain, des
formes d’esclavage. D’une part, un esclavage domestique, très différent
de l’esclavage tel qu’on le connaît dans le Nouveau Monde : ces
esclaves sont largement intégrés dans les familles de leurs maîtres.
D’autre part, un esclavage à plus large échelle, en Angola, dans les
îles au large du continent africain, aussi bien du côté Atlantique que
du côté de l’océan Indien (Cap-Vert, Réunion, Zanzibar). Quand ils se
sont installés, les Britanniques aussi bien que les Français ou les
Belges ont par ailleurs développé un système d’administration indirecte
qui reconnaissait à certains chefs éminents la propriété d’esclaves.
Mais cela reste marginal.


Qu’est-ce qui change avec la colonisation ?

Les colonisations donnent naissance à des formes de travail très
spécifiques que nous finirons par appeler le « travail forcé ».
Celui-ci apparaît à partir des années 1880 pour être progressivement
légalisé au cours des deux décennies suivantes.


Ce premier âge colonial, entre 1880 et 1906-1908, correspond à la
conquête de l’espace territorial colonial ; c’est le moment où les
États occidentaux et des particuliers commencent à confisquer des
terres aux Africains. Il s’accompagne partout d’un grand nombre de
massacres et de violences.


Un système juridique se met en place, conforté par les théories
racistes, qui refuse aux Africains les droits des citoyens européens et
notamment celui de mettre leur force de travail sur un marché libre. A
ces « indigènes », on va pouvoir imposer un travail obligatoire. Tout
un discours idéologique se construit alors pour affirmer que les
Africains n’aiment pas le travail !


Quelles formes prend ce travail forcé ?

Dans certains cas, il s’agit de travaux d’utilité publique : il
faut construire des routes et des équipements, porter les affaires des
troupes et des administrations coloniales qui conquièrent de nouveaux
espaces. A mesure que la colonisation avance, on réquisitionne des
hommes dans les villages, en privilégiant les plus vigoureux.


Toute la communauté villageoise s’en trouve déséquilibrée. Les
vieux, les jeunes et les femmes doivent d’une part contribuer à
alimenter ces gens qui partent et, d’autre part, se substituer à eux
dans leurs travaux. Cette situation que l’Europe a bien connue en temps
de guerre, mais en général pour une durée limitée, est générale en
Afrique pendant tout le premier âge colonial.


A cela s’ajoute le travail forcé organisé par les compagnies
concessionnaires. Toutes les nations colonisatrices – la France, au
Congo français, Léopold II et les Belges dans l’État indépendant du
Congo, les Britanniques en Afrique de l’Est et en Afrique australe, les
Allemands en Afrique de l’Est et dans l’actuelle Namibie, les Portugais
en Afrique centrale (cf carte, p. 58) – ont confié à des entreprises
privées des privilèges spéciaux pour exploiter économiquement les
territoires. Ces compagnies concessionnaires détiennent des droits sur
la terre, sur les biens, mais également des droits régaliens, dont la
possession de forces de l’ordre. Un système qui va conduire évidemment
à une utilisation discrétionnaire et presque toujours abusive de
travailleurs.


Ce système a été porté à son paroxysme dans les deux Congo français
et belge, en partie parce que ce sont des régions très pauvres en
hommes. Le peu de gens disponibles sont systématiquement utilisés. Et
ceux qui le refusent sont sévèrement châtiés.


A la fin de cette première phase, lorsque se met en place, à partir
du XXe siècle, une économie, en principe plus moderne, qui repose moins
sur le pillage systématique des ressources, et qui se préoccupe
davantage de productions minières ou agricoles, de nouvelles formes de
travail forcé sont mises en place. Dans les mines sud-africaines, sur
les hautes terres du Kenya britannique, au Cameroun et en Côte
d’Ivoire, partout, l’économie de traite contraint une main-d’oeuvre
récalcitrante, et souvent rare, à travailler dans les plantations et
les mines.


Fait troublant, les entrepreneurs africains, qui ne peuvent pas,
pour leur part, recourir à cette main-d’oeuvre forcée, se retrouvent en
concurrence avec les colons européens. C’est dans cette bourgeoisie
agraire naissante africaine qu’on rencontre, dès la fin des années
1920, les premiers critiques du travail forcé. L’un des plus virulents
sera Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire.


Que sait-on en Europe de ces pratiques ?

Quelques voix fortes se sont fait entendre. En France, dans
l’entre-deux-guerres, les témoignages d’Albert Londres et d’André Gide
notamment ont fait éclater le scandale du travail forcé lié à la
construction des chemins de fer. Les deux voies ferrées reliant le
Congo à l’océan Atlantique, le chemin de fer belge d’abord (1890-1898)
et le Congo-Océan, le chemin de fer français ensuite (1921-1934), ont
été de véritables cimetières pour la main-d’oeuvre africaine : « un
mort par traverse », disait-on. C’est exagéré, mais on estime que la
mortalité liée à ces chantiers se chiffre par dizaines de milliers.


Le travail forcé, est-ce différent de l’esclavage ?

Juridiquement, les statuts sont différents. L’esclave est le bien
de son maître. Le travailleur forcé, lui, reste libre en droit. Cela
dit, dans les faits, les travailleurs forcés sont réquisitionnés et
maintenus au travail sous la contrainte. Ils ne touchent aucun salaire
et doivent être nourris par les populations des villages qu’ils
traversent. Il existe certes des formes de compensation : on donne par
exemple au travailleur du sel ou du tissu. Mais ces rétributions
restent tellement en dessous de la valeur du travail fourni qu’on ne
peut appeler cela un salaire.


Et, bien sûr, les travailleurs forcés, comme les esclaves, sont
encadrés par des forces de l’ordre, des milices africaines recrutées
sur le territoire même, et commandées par des Européens. On comprend
que, pour les Africains, esclavage ou travail forcé, cela n’ait pas
fait de différence.


En Afrique centrale – qu’elle soit sous domination française,
belge, allemande –, où l’esclavage interne avait été très marginal et
où existaient de nombreuses sociétés minières, les gens ont vécu la
mise au travail forcé comme le début d’un esclavage. Et, du côté des
élites africaines, pour les instituteurs, les pasteurs, les planteurs,
ceux qui savaient ce que l’esclavage avait été, il semblait clair que
le travail forcé s’apparentait à de l’esclavage. Ce que beaucoup
d’entre eux d’ailleurs vont combattre.


Mais il y a des élites qui collaborent ?

Oui. Les autorités en place ont pu trouver un intérêt dans la
colonisation, car non seulement elles ont été maintenues en place, mais
elles ont été renforcées par la colonisation. Le pouvoir des États
récents, vieux d’un siècle seulement, comme les États musulmans du nord
du Nigeria, a souvent été conforté. Quant aux États plus anciens, comme
l’immense empire lunda en Afrique centrale, menacés par de nouvelles
élites politiques apparues au XIXe siècle, la colonisation leur a
offert une planche de salut.


Les colonisateurs, eux, étaient prêts à fermer les yeux sur les
méfaits de ces chefs dans la mesure où ces derniers leur garantissaient
une offre permanente de main-d’oeuvre soumise et respectueuse. C’est le
cas de toute l’Afrique guinéenne, en Côte d’Ivoire, en Gold Coast
(actuel Ghana), au Togo, au Dahomey (Bénin), au Nigeria, indépendamment
de la nationalité des colonisateurs.


Congo-Océan : Gide accuse


Dans Voyage au Congo (1927), André Gide s’indigne des conditions de
la construction du Congo-Océan. « Le chemin de fer Brazzaville-Océan
est un effroyable consommateur de vies humaines. [...] Les premiers
contingents ont eu beaucoup à souffrir ; tant durant le trajet [...]
(certains se noient dans le fleuve et nombreux sont ceux qui décèdent
de pneumonie), que sur les chantiers mêmes [...]. La mortalité a
dépassé les prévisions les plus pessimistes. A combien de décès
nouveaux la colonie devra-t-elle son bien-être futur ? »



Peut-on donner une mesure de la ponction humaine qu’a représentée le travail forcé ?

C’est difficile. Pour les colonies qu’on connaît le mieux, le Congo
français et le Congo belge, il semble que, dans les villages les plus
proches des voies de communication (voies d’eau et plus tard routes),
les pertes pouvaient représenter la plus grande partie des hommes
valides. Beaucoup de ces villages sont d’ailleurs désertés par leurs
habitants, qui préfèrent s’éloigner et, parfois, passer de l’autre côté
de la frontière, pour y découvrir la même horreur, ce que racontait
l’abbé Barthelemy Boganda dont la famille, basée en Oubangui-Chari
(Centrafrique), a expérimenté les colonisations allemande (Cameroun) et
belge (Congo-Kinshasa).


De quoi meurent tous ces hommes ?

Il y a d’abord les causes traditionnelles de mortalité. Les
conditions sanitaires dans lesquelles vivent ces gens sont dramatiques,
évidemment : maladies sexuellement transmissibles, mais aussi maladie
du sommeil qui s’est tragiquement répandue au cours des années
1880-1910 et toutes les maladies liées à la malnutrition.


Mais à ces causes traditionnelles s’ajoutent les conséquences du
travail forcé. Les conditions sont très dures, les mauvais traitements
parfois atroces. Le cas du Congo au temps de Léopold II, lorsque le roi
belge en était le propriétaire, c’est-à-dire de 1885 à 1908 (date à
laquelle le territoire est transféré à la Belgique), est
particulièrement catastrophique.


J’ai fait une enquête en 2003 dans la région du caoutchouc rouge,
au Congo belge, pour le film de la BBC réalisé par Peter Bate, White
King, Red Rubber ; Black Death (« Roi blanc, caoutchouc rouge, mort
noire »). Plus de cent ans après, les évocations du travail de collecte
dans les plantations de caoutchouc dans la forêt provoquent encore de
véritables terreurs dans les villages. On y a gardé le souvenir des
exactions. Il n’était pas rare qu’on coupe des mains ou des jambes de
travailleurs quand les administrateurs considéraient la production
insuffisante.


C’est une incitation au rendement par la terreur ?

Oui. Ce qui est étonnant, c’est que la France, l’Allemagne et
l’Angleterre, tout en connaissant les exactions commises, ont pris le
système léopoldien en modèle : ce qu’ils voyaient, c’est que le roi
belge a obtenu un retour sur investissement rapide et très important.
D’ailleurs, on peut dire que le système concessionnaire français s’est
construit par imitation du système léopoldien. Le système allemand en
Afrique de l’Est et dans le Sud-Ouest africain, la colonisation
britannique en Rhodésie (Zimbabwe), contemporains du système
léopoldien, sont tout aussi violents [2].


C’est la violence qui les rend rentables ?

Oui. J’imagine que l’on sait que c’est la violence qui les rend
rentables, et on l’accepte comme un mal nécessaire qui apprendra aux
Africains à devenir producteurs.



Revenir en haut Aller en bas
https://vuesdumonde.forumactif.com/
Partager cet article sur : reddit

1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava :: Commentaires

Jusqu’à quand ce système a-t-il duré ?

Dans beaucoup de régions le travail forcé est resté en place
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La France est le pays qui a
supprimé avec le plus d’éclat le travail forcé : en 1946, par un projet
de loi proposé par Félix Houphouët-Boigny. Mais, bien qu’«
officiellement » aboli, le travail forcé a pu subsister en fait, dans
certaines régions, en Oubangui-Chari, au Gabon, au Congo. Et cela
jusqu’à l’indépendance, quelquefois même au-delà.


Car, à partir de 1945-1946, le besoin de main-d’oeuvre s’accroît
avec l’ouverture de grands chantiers, notamment des ports et des
équipements urbains. Parallèlement, les entreprises privées se
développent, surtout en Afrique équatoriale : les compagnies
forestières ou les exploitations de diamants. Elles requièrent, elles
aussi, des travailleurs en nombre. On possède des textes étonnants
venant des chambres de commerce d’Oubangui-Chari en Afrique équatoriale
française entre 1945 et 1947, expliquant que le travail libre salarié
ne convient pas à des populations aussi arriérées que celles de
l’Afrique centrale !


Y a-t-il eu des résistances à cette violence du travail forcé ?

Il y a une première forme de réaction : c’est la fuite, surtout
dans la première phase coloniale, au temps de la conquête, à la fin du
XIXe siècle. On assiste alors à des mouvements de populations
considérables : les gens passent d’une frontière à l’autre. Ils ne font
d’ailleurs que renouer avec des formes de dissidence traditionnelles
dans les sociétés africaines où, quand on n’était pas d’accord avec le
système en place, on prenait son bagage pour aller s’installer plus
loin. Les « réfugiés » d’aujourd’hui ne font rien d’autre.


Mais y a-t-il eu des insurrections ?

Bien sûr, les insurrections sont à peu près ininterrompues durant
toute cette première période. On peut distinguer deux situations, les
sociétés africaines étatiques et les sociétés africaines non étatiques.


Dans les premières, les populations ont été habituées à une
certaine contrainte de l’État. Et se sont accoutumées à des formes de
soumission et d’obéissance. Dans ces sociétés-là, les résistances au
travail forcé et, au-delà, à tout le système colonial sont relativement
faibles, une fois les chefferies décapitées ou mises au pas. Les
colonisateurs sont passés par les chefs traditionnels pour accéder à la
main-d’oeuvre, limitant ainsi les résistances. Celles-ci ont été
relativement faciles à briser et n’ont pas dépassé le début du XXe
siècle.


Les oppositions ont été beaucoup plus fortes dans ce qu’un
militaire français, Gabriel Angoulvant, appelait les « sociétés
anarchiques ». Il s’agit de sociétés villageoises qui
s’auto-organisaient et où les habitants étaient habitués à se comporter
en fonction de leur intérêt et à ne pas se soumettre à des autorités
politiques permanentes. Cela concerne le sud de la Côte d’Ivoire, le
sud-est du Nigeria, le sud du Cameroun et la plus grande partie de
l’Afrique centrale.


Jusqu’à la fin des armées 1920, la « pacification », comme on
disait, de ces régions a été très difficile ; alors même que l’appareil
de l’État colonial s’était renforcé, l’adhésion à l’ordre colonial est
restée très superficielle. Ces territoires n’ont jamais été réellement
soumis. Dès les années 1930, avec la crise économique, les
manifestations de dissidence réapparaissent, dont les plus
spectaculaires ont lieu en Oubangui-Chari et au Congo belge. A partir
des années 1940, avec la Seconde Guerre mondiale, puis la politisation
des populations africaines à partir de 1945, elles se multiplient.


Quelle forme prennent les révoltes ?

Il s’agit le plus souvent de guérilla larvée. Quelquefois, les
populations donnent l’impression de se soumettre quand les commandants
passent, puis reviennent à des formes de vie antérieures après leur
départ. Derrière ce refus se manifeste le rejet des modes du
développement économique voulu par la colonisation. Ces oppositions
vont se prolonger dans beaucoup de cas au-delà de la colonisation,
contre la modernisation autoritaire lancée par les États indépendants.


Bien que rares, quelques grandes révoltes éclatent également. La
plus significative a eu lieu au Tanganyika (actuelle Tanzanie) : c’est
la révolte des Maji-Maji, contre la colonisation allemande, aux
alentours de 1905-1910. C’est un soulèvement de misérables sans rapport
avec des luttes entre groupes ethniques. Le refus de travailler devient
une insurrection contre l’occupant allemand. Les travailleurs n’ont que
des fusils de traite, mais ils opposent une résistance tellement forte
qu’elle entraîne une interpellation au Parlement allemand, une
commission d’enquête et une réforme : l’administration est obligée
d’assouplir les conditions de travail.


A la même époque, en 1904-1906, une deuxième révolte menée par les
Nama et les Herero éclate dans le Sud-Ouest africain sous domination
allemande. La répression a été tellement atroce que la plus grande
partie de ces deux peuples a disparu : plus de 60000 personnes meurent
en deux ans. On peut parler dans ce cas d’un véritable génocide2.


On pourrait citer aussi la guerre de Kongo Wara (« guerre de la
manche de houe ») en Oubangui-Chari, qui a vu plusieurs groupes
ethniques se soulever ensemble contre le régime colonial français entre
1928 et 19313, et l’insurrection des Mau-Mau, au Kenya, sous domination
britannique. Celle-ci atteint une violence extrême à partir de 1949.
C’est une guerre anticoloniale qui va devenir de fait une guerre de
décolonisation. Une guerre qui serait à la fois une guerre d’Indochine
et une guerre d’Algérie. Elle commence en 1949, et se prolonge jusqu’en
1963, lorsque le Kenya obtient son indépendance.


Y a-t-il d’autres massacres qu’on pourrait qualifier de génocides » ?

Non. Mais il faut évoquer la répression pratiquée par les Portugais
dans leur colonie en Angola. Partout où les gens se révoltent, on les
massacre.


Il y a également le dossier, très lourd, du Congo léopoldien et
belge : la campagne anti-léopoldienne qui est déclenchée à partir de
1905 chiffre en millions de morts les massacres imputables à
l’administration belge. Congo français, Oubangui-Chari, Gabon ont aussi
été le théâtre de violences terribles. Au Congo français, les crimes
ont été si nombreux que Pierre Savorgnan de Brazza, qui avait la
réputation d’être un « bon colonisateur », et qui avait apporté le
Congo à la France, à la fin du XIXe siècle, a été renvoyé en mission
pour enquêter sur ces massacres. Brazza est mort au retour de sa
mission et le dossier a été plus ou moins enterré.


Au total, il est très difficile de faire un bilan global du nombre
de morts. Certains territoires sont mieux connus que d’autres comme
l’État indépendant du Congo, où les missionnaires, surtout protestants,
ont dénombré les habitants.


Pour l’Afrique anglaise, nous disposons des travaux d’un excellent
démographe, Robert Kuczynski, qui a publié pendant la colonisation des
esquisses démographiques de cet empire. Tous les documents dont nous
disposons montrent un creux énorme entre 1880 et 1910, dû aux effets
cumulés des violences directes de la colonisation et de ses
conséquences indirectes (malnutrition, diffusion d’un certain nombre de
maladies, etc.).


Peut-on parler de crime contre l’humanité à propos du travail forcé ?

En historien, pour éviter le défaut de l’anachronisme, je prendrai le point de vue des contemporains du travail forcé.


Le premier est celui d’un Noir américain, George Washington
Williams. On est au lendemain de l’abolition de l’esclavage aux
États-Unis (1865). Il fait partie de ceux qui rêvent de civiliser
l’Afrique et adhèrent au projet colonial, notamment à celui de Léopold
II. Très vite, George Washington Williams va sur place, il voit ce qui
se passe. En 1895-1896, il est le premier, dans une lettre ouverte à
Léopold II, à utiliser l’expression de « crime contre le genre humain
», expression qu’on retrouve à la même époque sous la plume d’un autre
Noir américain, le missionnaire presbytérien William Sheppard.


De Mark Twain à Charles Péguy, nombreux sont les représentants de
l’intelligentsia mondiale de l’époque qui s’élèvent contre Léopold II,
parlent de « Modern Slave Trade » (« la traite des esclaves modernes
»). Ils anticipent sur ce que nous faisons aujourd’hui, en disant que
la traite des esclaves a été un crime contre l’humanité.


Déjà, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, beaucoup de
témoins ont comparé les abus commis par Léopold II à ceux du Sultan
rouge de l’Empire ottoman contre les minorités chrétiennes, notamment
contre les Crétois et les Arméniens. Un courant de penseurs et d’hommes
d’action s’est constitué, notamment autour du publiciste anglais Edmund
Morell, auteur de nombreux ouvrages sur le Congo léopoldien et
animateur d’un vaste mouvement de réforme du Congo. Les plus radicaux
proposaient que les responsables et bénéficiaires du régime léopoldien
soient jugés par une justice internationale pour crime contre la
civilisation et les droits de la personne.


Ces dénonciations n’ont cependant pas eu beaucoup de suites...

La Première Guerre mondiale, de ce point de vue aussi, a été très
néfaste parce que c’est sur l’Allemagne seule qu’on a rejeté
l’accusation d’être un mauvais colonisateur, tandis que la Belgique, la
France et la Grande-Bretagne se sentaient dédouanées et évacuaient tout
débat pour adopter une politique apparemment différente, celle de la «
mise en valeur ».


En fait, il va falloir attendre deux ou trois générations
d’historiens pour que la question apparaisse de nouveau et c’est
seulement à partir de la fin des années 1960 qu’on a commencé à en
parler, notamment à l’occasion des discussions sur les origines du
sous-développement en Afrique et des débats sur les résistances
africaines – qui étaient un moyen indirect de poser le problème des
violences coloniales.


Mais ce que les historiens n’ont pas vu, c’est que la violence des
dominés s’inscrit toujours dans une spirale, qu’elle est une réponse à
la violence des dominateurs. Et la violence des dominateurs, cette
historiographie n’a pas été capable de l’intégrer parce qu’elle posait
la question de l’État et du droit de résistance à l’État, au moment
même où, accédant à la souveraineté internationale, la plupart des
anciennes colonies se donnaient pour priorité le « développement » et
semblaient accepter le maintien de l’État colonial dans ses principales
caractéristiques.


Aujourd’hui, je pense que ce qui rend nécessaire cette réflexion
sur la centaine de la violence dans l’expérience coloniale en Afrique,
c’est, d’une part, le fait que les États africains postcoloniaux sont
restés très largement aussi violents que l’État colonial ; d’autre
part, le fait que les sociétés africaines qui ont résisté à la
colonisation, qui ont rallié l’État postcolonial pendant une dizaine,
une vingtaine d’années après les indépendances, ont renoué avec la
pratique de la résistance qui était celle de l’époque coloniale.


La question de la violence coloniale et des réponses des sociétés
africaines à cette violence est constitutive de la modernité africaine
et des difficultés de l’Afrique à inventer sa propre modernité.


Propos recueillis par Séverine Nikel.

Notes

[1] N° 302, octobre 2005.


[2] Cf. H. Bley, South-West Africa Under German Rule, 1894-1914,
Londres, Heinemann, 1971, et J. Koponen. Development for Exploitation.
German Colonial Policies in Mainland Tanzania, 1884-1914,
Helsinki-Hambourg, Finnish Historical Society, Studia Historica 49,
1995.

http://www.michelcollon.info/articles.php?dateaccess=2007-12-18%2006:54:00&log=lautrehistoire
 

1880-1914 : Londres, Paris et Bruxelles pratiquent l'esclava

Revenir en haut 

Page 1 sur 1

 Sujets similaires

-
» La Naissance du monde moderne, 1780-1914
» APRES GUY MÔQUET, SARKOZY S'ATTAQUE AUX POILUS 1914-1918 !
» Attentats de Londres, une bonne nouvelle pour les USA
» Londres vise le secteur privé pour l'Afrique
» Le maire de Londres accuse les organisations juives anglaise

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
MONDE-HISTOIRE-CULTURE GÉNÉRALE :: HISTOIRE-HISTORY :: ESCLAVAGE-SLAVERY-
Sauter vers: