mihou Rang: Administrateur
Nombre de messages : 8092 Localisation : Washington D.C. Date d'inscription : 28/05/2005
| | Sur le Gouvernement de l'Union Africaine | |
Sur le Gouvernement de l'Union Africaine Amadou Lamine SALL Poète , lauréat des Grands Prix de l'Académie française l Que nous reste t-il quand on a fini de dire : l'Afrique est en piteux état ? Nous sommes les fils aînés de la terre ? Nous possédons les ressources minières les plus importantes du monde ? Que nous reste t-il quand on a fini d'écouter les nouveaux Mongo Park, René Caillé, Marcel Griaule, Georges Ballandier ? Que nous reste t-il quand on a fini de prendre acte des « débordements amoureux des tiers-mondistes », des intellectuels d'Occident larmoyant sur l'Afrique avec leur bonne ou mauvaise conscience ? Que nous reste t-il après avoir souri sur les épanchements, les hypocrisies et les caresses soigneusement « préparés par les protocoles » des Grands de ce monde ? Que nous reste t-il quand on a fini de considérer « les images réductrices et hâtives des médias » sur notre continent ? Que nous reste t-il quand les autres ont « inventé pour nous toutes les maladies et tous les remèdes » ? Que nous reste t-il quand toutes les issues de secours sont murées et que nous sommes cernés par toutes les épidémies, tous les virus, quand « le commerce de la faim » prospère, quand le commerce des armes nourrit hypocritement les grandes puissances qui ont jeté toute morale à la corbeille? Que nous restait t-il donc à dire et à proclamer à ce rendez-vous des Chefs d'Etat africains à Accra en ce mois de juillet 2007 avec un ordre du jour unique et historique? Sans doute, n'allions-nous pas proclamer notre division comme le voudrait les Grands Blancs? Encore moins manifester l'élan d'un simple enthousiasme d'être encore ensemble entre nègres de toutes les couleurs réunis pour causer et « parloter »? A Accra, au pays de Kwamé Krumah, il nous fallait chercher à habiter plus la pratique que les discours, quand est enfin venu le temps de demander aux politiques d'avoir une posture réaliste. Au Ghana, parce que c'était un lieu géographique chargé, nous avions reconvoqué le passé de notre continent à un rendez-vous où il s'avérait impérieux que le passé et une certaine prise de position, celle de Krumah, soient enfin habitables. A Accra, à ce rendez-vous de l'Union Africaine, il fallait enfin ne plus masquer la route, lester le sac à dos rempli de peurs et d'égoïsmes, enfin avancer et résolument, respirer, innover, marcher avec l'horloge de son temps, éviter l'orgueil pourri, les marchands de sommeil, sortir du « nous moitrinaire » sans lendemain. Ce qui nous restait à faire à Accra, c'est que différents par nos expériences de souveraineté et de culture, mais solidaires d'un même continent et d'un même destin, nous pensions aux leçons des expériences passées, que nous soyons exigeants avec nous-mêmes, non pas seulement avec des mots, même si les mots comptent, mais en posant des actes possibles, ni utopiques ni surhumains, car où trouverions nous alors d'autres vies pour réaliser l'unité africaine? Ou devrait-on d'emblée faire le choix, par inconscience et lâcheté, de se décharger sur nos enfants et petits enfants, et les laisser réaliser ce que nous, nous avons le devoir de réaliser ici et maintenant ? Avions-nous le droit de tout leur laisser sans rien commencer par nous mêmes, sans même entamer le plus petit muret ? Ou bien devions-nous, tout de suite, bâtir les nouveaux fondements et les étages de cette longue quête d'unité, de prospérité, de liberté pour cette très vieille et digne Afrique si fatiguée, si éprouvée, mais tenace, forte et vivante? Pour ma part, à Accra où j'étais présent dans la délégation sénégalaise, mon intime conviction en discutant avec le solide et convaincant ministre d'Etat des Affaires Etrangères Cheikh Tidiane Gadio, est que les Chefs d'Etats africains étaient condamnés à poser des actes concrets à tout prix ! Que l'on ne nous dise pas qu'il ne s'agissait pas pour nous africains de changer le monde à Accra ! Si, nous étions là pour le changer, non pour créer, certes, une société mondiale idéale, car cela n'existe pas, mais pour créer une Afrique unie, forte, conquérante, une Afrique idéale pour gagner ses chances pour le développement de ses peuples au regard de ses ressources immenses. A Accra, nous devrions, sans tarder et sans hésitation, reprendre notre place dans l'histoire du monde, en exerçant d'abord nos responsabilités chez nous, en nous faisant moins peur, en nous plaignant moins, en évoquant moins les désastres et les fléaux, en prouvant que nous pouvions être parmi les premiers fournisseurs et pourvoyeurs de richesses, sans compter les valeurs culturelles et artistiques africaines qui ne cessent d'émerveiller le monde et qui continueront longtemps d'être un miroir pour tant de peuples en déperdition qui ont perdu toute traces d'humanité. En effet, « Les règles du marché reposent sur un vide de valeurs », et c'est là où les voies du développement africain vont différer du cruel libéralisme euro-américain. Que peuvent réussir ensemble les pays africains et les hommes politiques du continent, que chacun ne pourrait pas réussir séparément ? Je réponds : penser ensemble et coordonner ensemble l'avenir du continent ! En outre, l'économie politique doit s'enrichir de l'économie culturelle ! L'Afrique et ses dirigeants ne peuvent pas fermer les yeux devant la réalité économique de notre planète, telle qu'elle va avec le phénomène de la mondialisation. Ecoutons à ce propos Bob Rae, avocat et ancien premier ministre de l'Ontario au Canada, même si je ne partage pas toute sa philosophie et son approche de l'économie: « (…) Les marchés s'internationalisent et deviennent tout à la fois plus concurrentiels au plan local. La croissance au sein même des économies locales et régionales devient plus importante, tout comme le deviennent les échanges menés tout autour du globe. Aucune économie n'est autosuffisante, et de moins en moins d'économie sont de portée principalement nationale. Partout on cherche à attirer les investisseurs et à se donner les bénéfices des transferts technologiques. On s'intéresse à l'éducation et aux moyens de construire les infrastructures indispensables à la croissance. On se plaint des bureaucraties nationales qui méconnaissent la nécessité de la souplesse et de l'innovation. Autour du monde, les flux des capitaux transfrontaliers ont doublé ». Aucun pays ne peut rester insensible à cette réalité économique et politique de notre planète que nous décrit Bob Rae. Elle s'impose à nous, qu'on le veuille ou non. Des combats nous attendent plus contre nous-mêmes que contre l'éternel Occident et tous les autres prédateurs, visibles et invisibles. Nous allons vivre dans l'avenir de profondes et surprenantes mutations sociales, culturelles et politiques. Préparons nous pour les vivre mieux dans une Afrique unie et forte. A Accra, je puis affirmer que les Chefs d'Etat africains ont beaucoup avancé « dans leur tête ». Que la majorité d'entre eux ont déjà opté pour un gouvernement de l'Union. Dans sa restitution du Sommet d'Accra au grand amphithéâtre de l'université de Dakar, le ministre Gadio est largement revenu sur le consensus acquis. Il ne l'a pas été facilement, mais rien ne peut être facile dans un contexte où l'Afrique, dans son immense échiquier, reste encore prisonnière de « manœuvres », de « corruptions » et de « menaces mafieuses» de toutes formes. Dans ce sens, avec un discours brillant et courageux, à la limite du diplomatiquement correct, le Président Alpha Oumar Konaré, est allé au fond de la problématique des peurs, des reculades, des incompétences. Sans fioritures, le verbe haut, il a dit ses vérités aux Chefs d'Etats présents dans la salle. Bien sûr, comment taire ici le plaidoyer flamboyant et toujours soutenu de Khadafi le Président Lybien. Comment ne pas louer ici l'offensive jamais affaiblie du Président du Sénégal, Maître Abdoulaye Wade. La Guinée Conackry a surpris : son Premier ministre fut décisif, tranchant, convaincant. Le Président Bongo a également et résolument défendu la mise sur pied d'un gouvernement de l'Union. Il ne faut pas craindre de le dire : le Président Mbéki de l'Afrique du Sud n'a pas rendu la tache facile au travail de Wade et de Khadafi. Dans les couloirs, nombre de délégués francophones se sont plaints des réticences de Mbéki. C'était l'agacement. Je racontais à des délégués mon incompréhension de cette posture de l'Afrique du Sud, le pays de Mandela. Je souhaitais que l'on puisse rappeler à Mbéki que le continent africain s'était fédéré déjà pour combattre ensemble un fléau qui s'appelait l'apartheid. Que nos jeunes écoliers récitaient le matin que « l'apartheid est un crime contre l'humanité ». Que lui Mbéki se voulait le chantre de la renaissance africaine. Comment alors réconcilier tant de contradictions ? Etait-ce de cette manière qu'il fallait payer sa dette à l'Afrique solidaire du combat du peuple Sud-Africain pendant tant de décennies de douleurs? Finalement, la délégation sénégalaise autour de son Président et avec son Président trouveront la démarche consensuelle par une intelligente, courtoise élégance qui ramènera le Président Mbéki à une plus louable prise de position. Je suis de l'avis du ministre d'Etat Gadio : le comité des Chefs d'Etat mis sur pied à Accra sous la houlette du Président ghanéen Kuffor, augure de la réussite d'un gouvernement de l'union à court terme. L'Afrique se fera, quoiqu'il coûte, et si cela devait coûter, nous y aurions perdu que nos chaînes ! Il est un combat que l'Afrique doit gagner et vite. Ce combat n'est plus celui des Chefs d'Etats africains. Il est celui de la presse africaine. Elle doit s'organiser, se structurer et mener une lutte féroce contre la désinformation. Le Sommet d'Accra a beaucoup souffert d'une presse étrangère « formatée » selon le mot du ministre d'Etat Gadio, toujours prête à ravaler les avancées africaines à un tas d'infanteries sans nom. J'ai été heureux et fier d'être présent à Accra, à un moment si crucial, si décisif du destin de notre continent, notre si chère Afrique. Amadou Lamine Sall | |
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