Cheick Modibo Diarra, Président de Microsoft Afrique «Je suis un soldat du développement de l’Afrique » 02/04/2007 Astrophysicien
Cheick Modibo Diarra s’est fait connaître au monde en faisant naviguer
une sonde de la terre vers la planète Mars dans le cadre des recherches
de la NASA est désormais président de Microsoft Afrique. L’éminent scientifique a accordé un entretien à «Echos de la Banque
mondiale», le magazine de l’agence de développement au Sénégal.
Extraits de quelques vues sur le développement économique, le
numérique, la fuite des cerveaux, ….
Propos recueillis par Mademba NDIAYE
M.
Diarra, on parle de retard de l’Afrique dans le champ du numérique.
Comment ce retard se manifeste-t-il et dans quelles conditions, à vos
yeux, le continent peut-il rattraper son retard sur les pays développés
ou émergents dans le domaine des technologies de l’information et de la
communication ?Pour
moi, les technologies de l’information et de la communication sont
simplement des outils permettant aux retardataires de faire un bon
qualitatif et même de prendre de l’avance. En effet, les sociétés
actuellement les plus avancées ont effectué des investissements
initiaux dans les infrastructures et, s’agissant d’une technologie qui
bouge très rapidement, de nouvelles formes de cette technologie se
manifestent bien avant que ces investissements ne soient amortis. De ce
fait, ces pays sont de plus en plus obligés de créer des systèmes
hybrides, en construisant sur la base existante et ajoutant un peu de
neuf ; leurs infrastructures n’étant pas amorties, leur démantèlement
total n’est pas, en effet, envisageable. Dans ces conditions, nous qui
n’avons pas encore bâti nos infrastructures, nous avons, d’entrée de
jeu, la possibilité de gagner du terrain en instaurant immédiatement le
« dernier cri ». Et comme il s’agit d’une technologie transversale, on
peut l’appliquer au commerce, à l’agriculture, faire de la télémédecine
ou de l’E-gouvernement. Ces technologies sont incontestablement des
accélérateurs potentiels du développement.
Quand
on parle de retard, il faut donc considérer deux aspects : technologie
et ressources humaines. L’Afrique dispose aujourd’hui de nombreux
jeunes très compétents, tout à fait capables d’utiliser
ces technologies comme leurs homologues du monde entier ; mais ils
vivent dans une région où les investissements n’ont pas suivi, ni dans
les infrastructures, ni dans les programmes de
recherche. Ainsi, nous bénéficions d’une jeune génération qualifiée,
malheureusement pas en mesure, en Afrique, de faire valoir ses
compétences…désoeuvrée, en quelque sorte. Ces jeunes tournent en rond
ou finissent par aller travailler en dehors du continent. C’est donc
bien d’un retard infrastructurel dont nous souffrons. En revanche, sur
le plan des ressources humaines, nous possédons les experts nécessaires
pour former nos populations.
Comment
jugez-vous l’engagement des dirigeants africains eu égard au
développement des technologies de l’information et de la communication
sur le continent ? Estimez-vous que des actions stratégiques sont
entreprises, au-delà des discours sur la nécessité de réduire l’écart
numérique ?Je
pense que nos dirigeants sont de bonne foi, mais rencontrent une
difficulté : pour une raison que j’ignore, quand ils sont détenteurs
d’une idée, ils ne savent pas la transférer aux mains d’experts pour la
transformer en projets finançables. Le NEPAD, une idée merveilleuse,
illustre parfaitement cet état de fait. Nos dirigeants promènent ce
concept de NEPAD, mais n’ont jamais atteint l’étape consistant à
procéder à un recensement des compétences susceptibles de les aider à
le concrétiser, à transformer leur vision en projets, puis à
identifier, à l’échelon mondial, des entités capables de s’associer à
la réalisation de ces projets. On en reste au chapitre de l’idée et des
discours sans entrevoir la connexion à établir entre le politique,
maître de la décision, et le technicien habilité à transposer l’idée en
réalité. Faites le tour des institutions africaines, de l’Union
africaine à l’UEMOA en passant par la CEDEAO. Vous
n’y trouverez pas une seule banque de données comportant les noms et
contacts de l’ensemble des compétences africaines en Afrique et dans la
diaspora.
Puis-je
vous faire remarquer que Me Wade, dans le premier numéro de ce
magazine, se plaignait de la rareté des ressources humaines sur le sol
africain ? Je
crois qu’il voulait mentionner l’absence de lieux où trouver la liste
de ce type de ressources humaines. Et pourtant, la mise en place d’une
telle base de données ne prendrait pas plus de six mois et ne coûterait
pas plus d’un demi-million de dollars ! Il nous faut nous départir de
l’idée que tout est question d’argent, car le coût d’un tel outil est
dérisoire tandis que son apport est considérable non seulement pour le
NEPAD, mais aussi pour tous les projets de développement dans chaque
pays.
Au-delà de cette banque de données des ressources humaines, quelles autres actions stratégiques à court terme préconisez-vous ? Vous
savez, il est inutile de réinventer la roue ! Dans les années 20, les
États-Unis étaient dans un marasme économique et intellectuel
incroyable. Ce à quoi le Président Roosevelt a répondu par le « New
Deal », en expliquant aux citoyens la nécessité de bâtir des
infrastructures pour donner du travail aux Américains. Et aujourd’hui
encore, les États-Unis bénéficient de ces ponts, routes, écoles…
construits à cette époque. Il nous faut donc, en Afrique, un décideur
porteur de cette vision, capable d’y faire adhérer les populations.
Cette adhésion est capitale en ce qu’elle protège la vision des
changements de régime et plus généralement des aléas politiques ; et
les projets à mettre sur pied seront de dimension nationale ou
continentale, à moyen ou à long terme et non des initiatives
circonstanciées aux calendriers électoraux.
Revenons
à vos fonctions de président de Microsoft en Afrique. Envisagez-vous de
rendre plus accessible l’ordinateur aux Africains à faible pouvoir
d’achat ?Il
faut d’abord préciser que Microsoft ne fabrique pas des ordinateurs,
nous n’écrivons que des logiciels. Cela dit, l’accès n’est pas qu’une
question de coût, c’est aussi le langage dans lequel ce logiciel
fonctionne. Il y a six mois, j’ai présenté au Président de la République
du Sénégal, ici même à Dakar, le projet de traduire notre système
d’exploitation Windows et notre paquet Office en Wolof (une des
principales langues nationales du Sénégal). Nous avons déjà réalisé ces
traductions en Zulu, en Swahili et nous travaillons sur dix autres
langues africaines. Notre firme joue donc bel et bien sa partition dans
le domaine de l’accès.
Au-delà
du langage, intervient la capacité d’utiliser l’outil. Dans ce cas
précis, Bill Gates, le président de Microsoft, m’a confié, en juillet
2006, la responsabilité de former 45 millions d’Africains d’ici à 2010.
Et nous nous y attelons partout avec « Partners in Learning », un
programme destiné à donner aux enseignants du primaire et du secondaire
les capacités de former leurs élèves dans le domaine des TIC. Existe
également notre programme « Unlimited Potential » qui nous permettra de
créer et d’équiper des centres de TIC afin de former les personnes dans
leur communauté de base.
Bien
que ne fabriquant pas d’ordinateurs, nous investissons de l’argent en
Afrique dans le domaine de l’éducation en finançant le
reconditionnement d’ordinateurs de seconde main – déjà plus d’un
million d’unités en ont fait l’objet – dans lesquels nous insérons
gratuitement nos logiciels avant de les mettre gracieusement à la
disposition des écoles. Et nous formons parallèlement les enseignants.
Concernant
les coûts, la structure de prix de Microsoft varie selon les revenus
des pays. À qualité égale, nous vendons nos produits à des prix
différents selon le niveau de développement du pays. Mais l’accès
relève également de la responsabilité de l’État : fourniture
d’électricité, sociétés de télécommunication pour la connectivité, etc.
Nous travaillons sur tous ces aspects et sommes d’ailleurs impliqués
dans le programme E-School du NEPAD visant à doter 600 000 écoles,
urbaines comme villageoises, d’ordinateurs…même
là où l’électricité n’est pas distribuée. Et ce, au travers d’un
consortium ; 16 pays, dont le Sénégal, ont déjà été choisis pour la
phase pilote.
Mer 20 Juin - 21:05 par mihou