REDEKER, SCHOEMANN, TEVANIAN ET D AUTRES l
Deux poids, deux mesures -
mercredi 1er novembre 2006
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En étudiant le traitement médiatique et politique de « l’Affaire Redeker » et
en le comparant, à la fois du point de vue quantitatif (la place accordée) et
qualitatif (la nature des réactions) avec le traitement d’une précédente affaire
de menaces de mort, le texte qui suit met en évidence une incontestable
inégalité de traitement, liée à une non moins incontestable
institutionnalisation de l’islamophobie. Il ne s’agit donc pas de mettre en
concurrence deux combats tout aussi nécessaires l’un que l’autre, et
parfaitement conciliables : le combat contre l’antisémitisme et le combat contre
l’islamophobie, mais au contraire de contribuer à une approche unitaire et
égalitaire du combat antiraciste.
Article
On a parfois l’impression, quand on voit la manière dont sont médiatiquement
et politiquement traitées les menaces de mort reçues par Robert Redeker, que
c’est la première fois qu’un intellectuel engagé ou un homme public reçoit des
menaces de mort. Or, en fouillant dans les recoins de sa mémoire puis sur le
moteur de recherche google, on tombe par exemple - et ce n’est sans doute qu’un
exemple parmi beaucoup d’autres - sur ceci. C’est extrait du journal Le Monde,
et daté du 12 mai 2006 [1] :
« Douze balles envoyées par courrier, accompagnées d’un bristol anonyme
portant cette phrase : "La prochaine n’arrivera pas par la poste." Douze parties
civiles étaient présentes au procès de Raphaël Schoemann, qui comparaissait
devant le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 11 mai. Les propalestiniens
radicaux voisinaient avec quelques figures des réseaux franco-arabes, notamment
Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes. Les
personnalités, parmi lesquelles le député européen (Verts) Alain Lipietz, le
dirigeant altermondialiste José Bové ou le cinéaste israélien Eyal Sivan,
s’étaient fait représenter [2].
C’est un mail envoyé à l’une des parties civiles qui a permis de remonter
jusqu’à ce retraité de 65 ans, marié et père de deux enfants, au casier
judiciaire vierge, qui voulait s’en prendre à des personnes qu’il estimait
"antisémites" en raison de leurs écrits sur le conflit israélo-palestinien.
Raphaël Schoemann signait ses mails "Nadine Mouk", une formule qui signifie en
arabe dialectal : "Maudite soit la religion de ta mère."
Le prévenu ne conteste pas les faits. "J’ai choisi mes victimes en raison de
leurs liens avec l’extrême droite, déclare-t-il. Ils se sont tous livrés à des
déclarations à caractère antisémite [3] . J’ai essayé de saisir la Licra. Sans
résultat. Je ne voyais pas d’autre issue. Mais cela n’a pas suffi. Ils n’ont pas
assagi leur propos."
"Je n’avais aucune intention de passer aux voies de fait, surtout avec des
armes", assure-t-il. Pourtant, des armes à feu, les enquêteurs en ont trouvé
chez Raphaël Schoemann : un véritable arsenal, et notamment un fusil à
répétition SIG et un revolver Smith et Wesson, deux armes interdites à la vente
en France et acquises illégalement en Suisse, en décembre 2003, quelques mois
après l’envoi des courriers. "J’utilisais ces armes pour tuer des nuisibles dans
la propriété de mes parents, ou dans mon club de tir", se défend le prévenu.
"Nous avons frôlé un massacre, du genre de la tuerie de Nanterre" [4], estime
Maître Mylène Stambouli, avocate d’Alain Lipietz. "A partir du moment où l’on
prend des positions aussi tranchées sur le conflit israélo-palestinien, on prend
le risque de recevoir des menaces de cet ordre", avance l’avocat de la défense,
Me David Sellam [5]
Le parquet a requis douze mois de prison avec sursis, avec obligation
d’indemnisation des victimes. Jugement le 22 juin. »
Le verdict sera finalement de 10 mois de prison avec sursis et 1 euro de
dommages et intérêts pour chacune des douze victimes.
Nous verrons, dans les mois qui viennent, à quelle peine sera condamné
l’auteur du mail de menaces envoyé à Robert Redeker - qui, rappelons-le, n’était
lié à aucune organisation et ne possèdait chez lui aucun arsenal guerrier. Nous
verrons alors si la Justice respecte le principe d’égalité de traitement. Nous
savons d’ores-et-déjà, en revanche, que le « Jugement médiatique » fonctionne à
deux poids, deux mesures : sur le site pressedd.com, référençant les archives
des agences de presse et de l’ensemble de la presse quotidienne nationale, on
trouve
4 dépêches et 6 articles de presse pour toute l’année 2003 sur les menaces
reçues par Eyal Sivan ;
8 dépêches et 1 article de presse pour toute l’année 2003 sur les menaces
reçues par José Bové ;
rien du tout sur les menaces reçues par Monique Chemillier-Gendreau et Alain
Lipietz ;
5 dépêches et 4 articles en mai 2006 sur le procès opposant Raphaël Schoemann
à ses douze victimes ;
68 dépêches et 102 articles de presse consacrés à Robert Redeker en seulement
quatre semaines.
La série des douze menaces de mort envoyées par Raphaël Schoemann aura donc
été une non-affaire : ni tempête médiatique, ni mobilisation générale pour la
liberté d’_expression, ni montée en généralité et interpellation du « Judaïsme »
ou du « Sionisme ». Aucun quotidien n’aura jugé utile de poser en « Une » la
question « Peut-on encore critiquer Israël ? » (alors que Libération et beaucoup
d’autres médias ont titré « Peut-on encore critiquer l’Islam ? » à l’occasion de
l’affaire Redeker). La solidarité professionnelle, syndicale, politique,
intellectuelle aura été moins massive et surtout beaucoup moins bruyante et
solennelle. Une pétition de soutien à Eyal Sivan a certes été lancée sur
internet par les cinéastes Jean-Louis Comolli, Frédéric Goldbronn et Abraham
Segal [6], mais elle n’a bénéficié d’aucune médiatisation et n’a recueilli
aucune signature de « célébrité » : pas un BHL, pas un Philippe Val, pas un
Michel Onfray pour soutenir en bloc, « sans réserve » et «
sans condition » les 12 personnes menacées de mort, « quoi qu’elles aient pu
dire ou écrire ». Pas un Yves Calvi, pas un Guillaume Durand, pas un Marc
Weitzmann pour sommer « les Juifs » ou « les sionistes modérés » de prouver leur
modération en manifestant un soutien inconditionnel non seulement à José Bové,
Alain Lipietz ou Eyal Sivan, mais aussi à Mondher Sfar ou Ginette Skandrani - et
c’est tant mieux : pourquoi en effet chaque Juif serait-il comptable des
errements de l’un (ou même de plusieurs) de ses « co-réligionnaires » ou de ses
« défenseurs » [7]. ?
Le problème, c’est que cette distinction élémentaire entre l’individu, la
poignée d’individus et la totalité du groupe (religieux, ethnique, national...)
ne se fait plus lorsque l’individu ou la poignée d’individus fautifs est
musulman(e) :
l’acte répréhensible quitte la page des « Brèves », « Dépêches » ou « Faits
divers » pour envahir les pages « Société » et les pages « Débats », puis la «
Une » et les plateaux de télévision, « chez FOG » [8], chez Calvi et chez
Guillaume Durand ;
un mail anonyme, lorsque l’auteur est présumé musulman, est rebaptisé « Fatwa
» [9], et ce n’est plus un individu qui est en cause, mais « l’Islam » dans son
entier ;
les animateurs de débats sortent de leurs gonds et parlent avec leurs tripes
: ils somment les musulmans de « soutenir sans réserves » le professeur
islamophobe, et ils les accusent de complaisance avec « la Fatwa » s’ils
émettent la moindre critique sur le texte de Redeker ;
la peur et la haine deviennent palpables : les sociologues, anthropologues et
politistes qui tentent de garder la tête froide sont, comme Olivier Roy chez
Guillaume Durand, quasi-insultés lorsqu’ils tentent de contrer les amalgames et
de rappeler cette vérité élémentaire : « l’Islam » recouvre des formes de
religiosité et des modes de vie d’une grande diversité [10] ;
enfin [11], un jeune écrivain branché (un certain Marc Weitzmann, chef de
rubrique à l’hebdomadaire Les Inrockuptibles) se sent autorisé à stigmatiser ces
musulmans soi-disant modérés qu’on ne voit pas manifester dans les rues pour la
défense de Redeker...
Pour résumer :
d’un côté : douze balles réelles accompagnées de menaces de mort, sont
adressées à douze personnalités opposées à la politique israélienne [12] par un
défenseur auto-proclamé des Juifs qui s’avère détenir chez lui un véritable
arsenal guerrier : tout le monde laisse la police enquêter et la Justice
trancher, en gardant la tête froide.
de l’autre : un mail de menaces de mort est envoyé à un intellectuel
islamophobe par un défenseur auto-proclamé des Musulmans - et ce mail suffit à
déclencher une tempête médiatique, à mobiliser toute l’aristocratie
intellectuelle et à remettre sur la sellette toute la communauté musulmane.
En d’autres termes : si l’antisémitisme n’a pas disparu, nous pouvons
néanmoins nous réjouir du fait qu’il n’existe plus en France d’antisémitisme
systémique et légitime comme il en existait un dans les années 30 [13]. Il y a
en revanche bel et bien un racisme systémique et légitime, comparable à
l’antisémitisme des années 30, à l’encontre des musulmans [14]. Il serait temps
d’en prendre la mesure, et de le combattre.
Collectif Les mots sont importants, 26 octobre
Notes
[1] Xavier Ternisien, « Les balles et lettres de menace d’un retraité obsédé
par l’antisémitisme », Le Monde, 12-13/05/2006
[2] Note du collectif Les Mots Sont Importants : La liste complète des
personnes ayant reçu les menaces de mort de Raphaël Shoemann est la suivante :
Eyal Sivan, Isabelle Coutant-Peyre, Ginette Hess-Skandrani, Maria Poumier,
Lucien Bitterlin, Monique Chemiller-Gendreau, Alain Lipietz, Gilles Munier, José
Bové, Annie Coussemant, Mondher Sfar, Jean-Claude Willem
[3] Note du Collectif Les Mots Sont Importants : C’est évidemment totalement
faux. Si certaines des cibles de Raphaël Schoemann (par exemple Ginette
Skandrani, Maria Poumier ou Mondher Sfar) sont engagés dans de véritables
dérives antisémites ou négationnistes, d’autres sont tout simplement des
opposants résolus à la politique israélienne, qui n’ont pas le moindre lien avec
l’antisémitisme - si ce n’est sur le mode du combat contre l’antisémitisme.
C’est notamment le cas d’Eyal Sivan, de Monique Chemillier-Gendreau, d’Alain
Lipietz et José Bové. Pour ce qui est d’Isabelle Coutant-Peyre, Lucien
Bitterlin,Gilles Munier, Annie Coussemant et Jean-Claude Willem, nous ne les
connaissons pas et ne pouvons donc dire s’ils ont ou non tenu des propos
antisémites. Ceci étant dit, quand bien même l’un ou plusieurs de ces gens
auraient tenu des propos antisémites, cela ne justifierait aucunement des
menaces de mort, de même que le racisme antimusulman de Robert Redeker ne
justifie
aucunement les menaces de mort qu’il a reçues.
Ven 3 Nov - 20:46 par mihou