De Dieudonné à Sarkozy
29/09/2006
Ou qui perd gagne...
Par Henri Georges Minyem
Ce matin-là, mes étudiants avaient eu vent de la lettre que j'avais adressée en mars 2005 à l'humoriste Dieudonné. Plusieurs d'entre eux éprouvèrent le besoin d'un éclairage sans détours sur ma position face à ce qui devenait un phénomène de société. Cet épisode, à certains égards, dramatique se révélerait catharsis d'une souterraine frustration et d'un déficit de présence au sein du tissu social français de la population mélanoderme. Je leur expliquai dans des termes simples que j'éprouvais de l'affection pour cet homme qui s'était découvert une âme de leader et une conscience politique face à une cause qu'il jugeait indispensable de défendre, celle d'une minorité non visible politico-médiatiquement ; cet humoriste de talent dont l'aura médiatique permettait d'amener les souffrances des noirs de France à la conscience de la majorité blanche.
L'un de mes étudiants prit son courage à bras le corps et me désigna l'ouvrage que je tenais dans les mains : "Codes noirs" d'André Castaldo introduit par Christiane Taubira.
"Que pensez-vous réellement de Dieudonné ? " me demanda-t-il.
La question que me posa Dan, de confession juive fut directe, simple, sans ambages. S'attendit-il à ce que je m'aligne sur la bien-pensance hypocrite et instrumentale qui faisait de Dieudonné l'antisémite pervers dont l'unique finalité fut l'extermination des juifs ? Si tel fut le cas, il eût du être déçu, car je lui expliquai alors qu'une cause juste avait parfois besoin d'une électrode négative pour apparaître à la lumière du jour. Non point que j'assimilasse Dieudonné à une allégorie pernicieuse, mais bien ses excès, ses formes d'expression et ses maladresses verbales afférents à la communauté juive qui pouvaient laisser à penser à un judéophobe larvé. J'avais longuement expliqué dans ma "Lettre à Dieudonné et aux Noirs de France", le danger que représentait son immersion incontrôlée dans un champ qui relevait d'une discipline complexe, de mon point de vue méconnue de lui : la sociologie politique.
Ainsi, l'amalgame fait entre les commémorations intempestives du martyre de ce peuple et le mutisme social observé dans les discriminations raciales à l'encontre des Noirs pouvaient inciter à croire à une inéquité structurelle dans le traitement des souffrances. Mais, du point de vue des Français blancs, la perception qui se dégageait de l'exhibition comparée de ces faits relevait d'une graduation de la souffrance humaine. En d'autres termes, stigmatiser la souffrance séculaire des Noirs depuis la traite transatlantique, tout en s'opposant à la sur-médiatisation de celle des juifs, créait par effet de miroir, un antagonisme entre lesdites communautés ; erreur de communication dont ne manqueraient pas de se saisir les membres des deux communautés.
Pour les Noirs d'abord, qui trouvaient enfin un amplificateur à leur négation sociale, à leur désarroi fataliste qu'ils furent obligés de taire par honte durant des décennies, Dieudonné devint le pourfendeur de l'injustice sociale d'une société blanche au racisme larvé qui n'avait jamais intégré le principe de l'égalité entre les races.
Pour les juifs, la dénivellation sous forme de critique de ce que, par tradition, ils avaient fini par considérer comme sacré (à savoir la shoah), s'apparenta à un blasphème insupportable, un sacrilège antimémoriel, une diffamation intolérable.
Illustration desdites positions se matérialisera dans les surenchères oratoires de quelques-uns : le philosophe Alain Finkielkrault se trouva un ennemi tout désigné et une communauté à combattre. Quelques personnalités littéraires telles Eric Zemmour (dont j'ai par ailleurs apprécié la convergence de vues avec la mienne dans son analyse sur le féminisme) s'illustrèrent aussi sur ces thèmes en s'attaquant à la loi Taubira.
L'amalgame entre les positions ethno-corporatistes de Dieudonné trouva écho dans les médias, et insidieusement le débat se déplaça sur le bien-fondé de la loi contre la traite et l'esclavage. Les institutions de la République ne furent pas en reste, puisque le Sénat français alla jusqu'à décerner le grand prix du Sénat à un historien, Olivier Pétré-Grenouilleau dont les travaux sur l'esclavage se résumaient à une conclusion simpliste sur le plan intellectuel : les responsabilités de la traite étant partagées entre Africains et Européens, la loi Taubira n'aurait plus aucune consistance, voire aucune validité, de son point de vue. Subjectivisme quand tu nous tiens !
L'un des célèbres ministres de cette République alla même sur le plateau de télévision du 19-20 de France 3 déclarer en "avoir marre de cette incessante repentance" à laquelle la France qu'il aimait tant devait chaque fois se livrer. Ledit ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, candidat déclaré à la présidentielle 2007 avait, à la faveur de son impétuosité "mis le feu aux banlieues". Vous savez, c'est le père fondateur du fameux "Nettoyage de la racaille au karcher". Face à un journaliste de France Ô, quelques jours plus tard, et devant la fronde des antillais dont le patriarche, homme de lettres et chantre de la négritude, Aimé Césaire avait subtilement manifesté l'hostilité, Monsieur Sarkozy se posa en bienfaiteur moderne des Noirs et plus généralement, des minorités car, affirma-t-il : "j'ai été le premier à nommer des préfets antillais, musulmans…" Les Noirs de France lui devraient bientôt leur premier présentateur de JT à 20h, sur la première chaîne, Harry Roselmack qui, grâce à un groupe de pression militant pour la visibilité médiatique des minorités, Averroès, avait été retenu. Nous devrions donc être reconnaissants à Monsieur Sarkozy "qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit" de sortir les Noirs de leur condition alors que les autres se contentent de promesses !
Au sein de la poupulation noire
La communauté noire quant à elle, s'enrichit de nombreuses revendications, allant des plus légitimes, à l'instar de la visibilité politico-médiatique aux positions les plus extrémistes. Les plus modérés au sein de cette population furent quelques fois taxés de traîtres. Ma lettre à Dieudonné me valut quantité impressionnante d'invectives sur un site africain (cameroon-info.net) dont la plupart des auteurs, jusqu'au-boutistes ignoraient jusqu'au style analytique que j'avais usité. Ces adeptes de la manière forte et thuriféraires pusillanimes encouragèrent l'humoriste à persévérer dans ses erreurs et l'on eut bientôt droit au florilège de ses déclarations les plus outrageantes, les plus offensantes pour les juifs : "pornographie mémorielle (…), la shoah, c'est leur business (…)"…Puis, il y eut : "L'enquête sur un antisémite" (ce titre n'est pas de Dieudonné mais de Claude Askolovitch du Nouvel Obs) (sic)…(…) La corrida était ouverte, il ne restait que la mise à mort. La messe était dite, irrévocable, irrémissible : Dieudonné était antisémite ! Quelle horreur ! Pourtant la surenchère ne prit point fin.
Du côté des Noirs, disais-je, la tribu Kâ commença à faire parler d'elle, par des ratonnades physiques et verbales sur "des juifs qui s'attaquent aux Noirs". Leur leader, Kemi Seba avait été le représentant français de la N.O.I. (Nation Of Islam) dirigée par le révérend Farrakhan. Il y avait appris la persécution millénaire au plus, pluriséculaire au moins, de son peuple et entendait participer au réveil des consciences des siens qu'il chérissait au-delà de tout et qui furent persécutés de tout temps. Il se mit à organiser des réunions régulières (devinez où ?) …au théâtre de la Main d'or dont Dieudonné est propriétaire dans le 11ème arrondissement de Paris. Des chercheurs noirs initièrent des travaux pour justifier de l'exploitation des Noirs non plus exclusivement par des Européens, mais aussi et surtout par des juifs, qui s'étaient enrichis grâce à ce commerce odieux.
De là à semer confusion et amalgame dans des esprits en mal de repères, de solutions à leurs problématiques existentielles, il n'y eut qu'un pas que beaucoup franchirent. Non point qu'ils se mirent à "casser du juif", mais ils se mirent à lui attribuer la responsabilité (non exclusive cependant, ne soyons pas manichéens), de leur insularité sociale. Il y eut aussi Youssouf Fofana qui permit de comprendre l'impact désastreux des thématiques ethniques dans des esprits gangrenés par la misère sociale, la promiscuité, l'analphabétisme et la bêtise. Bientôt le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) vit le jour, dans la foulée d'une conférence à Jussieu à laquelle je participai le 10 septembre 2005, engendrant avec lui la fronde d'autres associations préexistantes et la palabre commença au sein des collectifs négrophiles, comme si bien savent le faire les nègres. On assista bientôt à l’émergence flagrante d’une floraison d’opportunistes noirs tels Dodag Dogoui, autrefois candidat « France Diversité » aux élections européennes, qui se déculottant face à Nicolas Sarkozy, lui offrit ses services en quêtant quelconque subside que le maître de céans consentirait à lui octroyer dans son infinie magnificence, pour services rendus à « la cause » ; et je me confortai dans les analyses qui me poussèrent autrefois à quitter la dite liste pour les minorités. Mains l’on eut aussi un certain « Doc Gynéco » et bien d’autres dont l’insignifiance ne mérite de ma part nul commentaire supplémentaire.
Quant à moi, je pris le parti de rester objectif : je ne trancherais ni pour un camp, ni pour l'autre, seulement à la lumière de faits avérés, prouvés. Ma position resterait tout autant neutre au sujet des communautés noire et juive.
"J'habite un immeuble où cohabitent des personnes de toutes confessions et de différentes origines", expliquai-je. "Ma voisine de palier est une juive marocaine avec qui j'ai d'excellents rapports. Parmi vous mes étudiants, se trouvent des personnes de confession juive. Suis-je fondé à manifester un comportement discriminatoire basé sur des considérations confessionnelles ? Si je devais descendre aussi bas, alors, j'estime que je n'aurais plus ma place de pédagogue ici, devant vous". "L'homme, ajoutai-je, doit être déterminé par ses actes et non par une hérédité psychosociale qui le figerait dans une position indépendante de ses choix propres". Faire acte d'individuation, d'interpersonnalité, de communication et d'empathie est à la portée de tous. Plus encore, c'est le principe élémentaire du lien social, concept anthropologique fondateur de toute société humaine.
Si je considère mon destin social dans un pays, je ne puis faire abstraction des nécessaires et indispensables codes, échanges, rites de cette société, en même temps que je me dois de les comprendre comme autant de complémentarités dans la diversité.
Mar 3 Oct - 21:52 par mihou