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 Edgar Morin : « On a créé un état d'intimidation ». 1

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AuteurMessage
zapimax
membre mordu du forum
zapimax


Nombre de messages : 654
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 14/06/2005

Edgar Morin : « On a créé un état d'intimidation ». 1 Empty
20062005
MessageEdgar Morin : « On a créé un état d'intimidation ». 1

Silvia Cattori : Mais quand ces intimidations s'arrêteront-elles ?

Edgar Morin : Beaucoup de gens me disent « mais toi tu peux écrire
ces choses là parce que tu es d'origine juive mais nous on n'oserait
pas, on a peur, on se ferait tout de suite traiter d'antisémite ».
Alors, cette peur de se faire traiter d'antisémite chaque fois que
l'on veut exercer un acte de libre critique, créé un climat
empoisonné. C'est pourquoi je pense que le jugement rendu par le
tribunal l'autre jour - jugement qui me condamne - va encore
aggraver ce climat et rendre de plus en plus difficile la critique
d'Israël et, en un sens, la liberté d'expression. Sans compter le
fait que ce genre de discrédit, d'outrage, fait à des personnes -
dont moi-même - qui toute leur vie ont lutté contre toutes les
discriminations, est inique autant que grotesque.

Silvia Cattori : Cette expérience malheureuse vous a-t-elle fait
découvrir une réalité que vous méconnaissiez ? Qu'il y a, en France,
une manière de prise de contrôle basée sur l'intimidation et la
diabolisation qui ruine des vies ?

Edgar Morin : Vous parlez de gens qui ont perdu les procès ?

Silvia Cattori : Je me réfère à des cas où les procès sont gagnés
mais suivis d'appels sur appels.

Edgar Morin : Cette réalité je la connaissais très bien. Je connais
le journaliste Daniel Mermet qui a été lui aussi poursuivi. Je sais
que, jusqu'à présent, ils ont perdu tous les procès intentés. La
seule fois où ils ont gagné, c'est avec notre article.

Silvia Cattori : On peut comprendre que des personnes mal informées
puissent être ébranlées par votre argumentation. Mais quand une
personne avertie, comme Alain Finkielkraut par exemple, affirme être
saisie « d'épouvante » [8] en vous lisant, que penser ?

Edgar Morin : C'est un phénomène bien connu. Il y a une fermeture à
partir du moment où les pro-israéliens ont l'impression que c'est
Israël la victime, et que ce sont les Palestiniens les coupables qui
veulent la mort d'Israël, ce qui justifie toute cette répression
contre eux. A partir du moment où ils ont l'impression que, quand la
presse montre des images où l'on voit les chars israéliens, c'est
une presse unilatérale, pro-palestinienne, et que toute information
qui parle des souffrances des Palestiniens est pro-palestinienne,
donc tendancieuse, on entre dans une conception totalement fermée.
Quand vous avez affaire à un groupe fermé qui est persuadé d'avoir
la justice de son côté, il s'octroie le droit de dire et faire
n'importe quoi. C'est la même chose avec les groupes « terroristes »
que combat Israël. Le fait est que là, avec ce conflit, il s'est
créé un nationalisme et un chauvinisme juif toujours auto-justifié ;
dans le reste de l'opinion on a peur de passer pour antisémite du
fait des siècles d'antisémitisme passés. La juste culpabilité de
l'antisémitisme paralyse la juste critique d'Israël.

Silvia Cattori : Dois-je conclure que soutenir Israël c'est se
tromper de combat ? Que la justice voudrait que tous les Israéliens
et tous les Juifs du monde s'unissent pour exiger du gouvernement
israélien la cessation des abus et le respect de la loi
internationale ?

Edgar Morin : Il y a une minorité de Juifs qui se battent dans ce
sens là. Et même, je peux vous dire qu'en Israël, on peut écrire des
choses qu'ici nous vaudraient des procès. Le rabbin Leibowitz disait
qu'Israël devenait un « Etat judéo-nazi ». Mais ici en France, sous
ma signature, l'on ferait un procès. On a créé, chez certains
esprits, un état d'intimidation et de terreur psychologique.

Silvia Cattori : Les intellectuels de confession juive, les
militants juifs étaient généralement à l'avant-garde de la lutte
pour les libertés. Or, nombre de militants - le plus souvent issus
du trotskisme ou du communisme - pratiquent aujourd'hui une sorte de
maccarthysme. Ils semblent très actifs à désigner des «
antisémites » [9] de manière totalement arbitraire et à parler,
finalement, de la même voix que ces institutions juives qui vous
font des procès. Etrange renversement non ?

Edgar Morin : Ceux dont vous parlez n'étaient pas de confession
juive. Ils n'étaient pas religieux. Ils étaient d'origine juive mais
ils étaient devenus internationalistes, universalistes. Or, à partir
du moment où beaucoup d'entre ces militants - qui étaient
trotskistes, maoïstes, communistes - ont perdu leur foi, il s'est
opéré en eux une crise et ils ont retrouvé une raison d'espérer en
se raccrochant à Israël. Ce fut le cas de Benny Levi, l'ancien
responsable maoïste ; ce fut le cas d'Annie Kriegel, ex-stalinienne.
Vous avez un retour à cette identité qui devient fermée. Le propre
des Juifs dans le monde occidental, une fois qu'ils acceptaient leur
statut de citoyens, ils faisaient partie de la nation ; ils ne
faisaient plus partie d'un peuple juif qui était dispersé ; ils ne
faisaient plus partie d'un Etat juif qui n'existait plus. Beaucoup
d'entre eux n'avaient plus d'attaches avec la religion même si,
parfois, ils allaient à la synagogue par respect pour leur famille.
Donc les trois éléments qui formaient l'identité juive avant la
diaspora, « une nation, un peuple, une religion », avaient disparus.
Les Juifs qui rentraient ainsi tout naturellement dans le monde
des « gentils », percevaient fort bien le danger que faisait peser
sur eux le nationalisme étroit. Ils avaient donc des tendances
universalistes ; ils étaient européistes, ils étaient mondialistes,
ils étaient internationalistes. Mais à partir de la création de
l'Etat juif, et surtout à partir de soixante-dix, beaucoup de Juifs
du monde extérieur se sont sentis solidaires d'Israël, liés à cet
Etat par une double fidélité ; ce qui peut très bien se comprendre.
Les communistes eux mêmes étaient français et en même temps
solidaires de l'Union soviétique. Vous avez un Etat. Vous avez un
peuple. D'ailleurs beaucoup d'organismes de jeunesse juifs disent «
un seul peuple dans deux nations ». On a reconstitué l'idée d'un
peuple juif. Et les Juifs laïcisés se sont mis à lire la Bible, le
Talmud. Il y a eu un retour à la religion. Donc les trois
composantes de l'identité juive de l'antiquité ont été ressuscitées.
Et quand on est dans une telle composante, et en situation de
guerre, on se met à haïr l'ennemi et tous ceux qui altèrent la belle
image de soi.

Silvia Cattori : Quelle image ?

Edgar Morin : C'était le sabra, c'était l'homme qui colonise la
terre, c'était le mythe d'un peuple « sans terre pour une terre sans
peuple » qui faisait pousser les fleurs dans le désert, c'était un
peuple de combattants héroïques ; il y avait cette image
merveilleuse du Juif qui avait éliminé l'image du petit juif
craintif de ghetto. Et quand, un peu plus tard, on se rend compte
que ces mêmes gens envoient des missiles pour liquider des militants
du Hamas, réels ou supposés, détruisent des agglomérations - comme
Jenin en 2002 - font toutes ces opérations militaires répressives,
cela touche l'image de « soi » ; l'image de beaucoup de Juifs qui ne
peuvent pas se reconnaître dans cette image. L'image dans laquelle
ils se reconnaissent est, je suis le martyr d'Auschwitz, je suis le
bel Israélien qui fertilise une terre. Voilà. Donc quand cette image
de « soi » est altérée d'une façon aussi dramatique, ils se mettent
également à haïr tous ceux qui, par la critique d'Israël, détruisent
l'image de « soi ». Pourquoi pendant longtemps « ils » n'ont pas
voulu appeler les Palestiniens les Palestiniens ? Parce que
c'étaient des Arabes ! Même Golda Meir disait d'eux que c'étaient «
des bêtes ». Ils n'ont pas même voulu leur donner d'identité. C'est
l'Organisation de libération de la Palestine (OLP,) avec Arafat, qui
a fini par faire reconnaître au monde la notion de Palestinien et a
fini par la faire reconnaître in extremis au gouvernement israélien.
Demeure que l'idée que les Palestiniens puissent exister dans une
terre qui était soi disant « sans peuple » est une idée qui les
offense ; les Palestiniens sont vus comme des parasites. Donc voilà
comment tout ceci s'est créé. Malheureusement tout cela - qui est
compréhensible - est tout à fait lamentable.

Silvia Cattori : Les autorités politiques en Europe, n'ont-elles pas
favorisé ce climat délétère pour avoir été trop à l'écoute
d'institutions qui poursuivent des intérêts particuliers ?

Edgar Morin : Je crois que ces campagnes, menées par le CRIF et
quelques autres organismes communautaires, ont fait en sorte que le
gouvernement et le pouvoir ont quasiment capitulé. En disant qu'ils
combattaient le racisme ils ont surtout voulu combattre
l'antisémitisme. Ils ont oublié les autres racismes, et pas
seulement à l'égard des Arabes, mais des Tziganes, etc. Je crois que
c'est également l'importance politique de la minorité juive en
France - il y a bien une minorité islamique plus importante en
nombre mais moins influente politiquement - qui amène le
gouvernement à aller plus ou moins au devant de ses désirs. Les
responsables du CRIF se sont même permis de critiquer la politique
internationale de la France sans que le gouvernement ait quoi que ce
soit à redire.

Silvia Cattori : Cette soumission ne peut qu'encourager les
demandes ?

Edgar Morin : Oui. Ils se sentent encouragés par tant d'attentions.
Et en arriver à ce que la commémoration d'Auschwitz soit centrée
uniquement sur les Juifs, alors que nous savons fort bien qu'il y
avait aussi d'autres victimes. Et que, parmi les victimes de la
répression nazie, il y a eu environ deux millions et demi de
prisonniers de guerre soviétiques qui sont morts dans les camps.
Nous savons que la répression était avant tout concentrée sur les
Juifs ; mais elle s'est aussi portée sur les Tziganes, sur les
débiles mentaux. Nous savons que cette répression aurait frappé
massivement les Slaves aussi, si Hitler avait gagné la guerre. Tout
ceci, qui s'est pareillement concentré sur les Juifs - comme s'ils
étaient les uniques victimes de l'humanité - a provoqué le choc en
retour. Les noirs ont fini par dire « Et nous, et cinq siècles
d'esclavages et de traite des noirs ? » Et les Algériens « Et la
guerre d'Algérie, et ce que les Français nous ont fait » ? Je trouve
que c'est très justement que tous ceux qui ont souffert, de ce que
l'on peut appeler la barbarie européenne, disent maintenant « Il ne
faut pas nous oublier ! Il n'y a pas que les Juifs au monde » !

Silvia Cattori : A quoi pouvons-nous nous attendre désormais ?

Edgar Morin : Je pense qu'ils (les institutions juives) sont allés
trop loin. Il est vrai qu'au début, quand il y a eu la libération
des camps, on n'a parlé que des déportés politiques ; on n'a pas
spécialement parlé des Juifs. Il faut préciser qu'en France il y
avait eu plus de déportés politiques que de déportés Juifs. Cela
tenait au fait qu'une partie de la population française avait caché
des Juifs. La France avec la Bulgarie - alors que dans d'autres pays
il y a eu 60 à 80 % de victimes juives - est le pays où parmi les
déportés, les Juifs étaient en nombre moindre parce que bien de
braves gens ont caché et protégé des Juifs dans les villes et les
campagnes. En France, à la fin de la guerre, on avait surtout parlé
alors des déportés politiques qui revenaient, mais on n'avait pas
parlé des Juifs en particulier. Mais maintenant on est passé à
l'autre extrême. On oublie tous les autres déportés. Or, tout ces
excès, font partie d'une vision politique où les Juifs ne peuvent
être que héros ou victimes. Et si on porte atteinte à cette double
image, alors on est un salaud.
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