A Cuba, une "transition" préparée de longue date a commencé
LE MONDE | 02.08.06 | 13h47 • Mis à jour le 02.08.06 | 13h47
SAINT-DOMINGUE CORRESPONDANT


Vingt-quatre heures après avoir délégué ses pouvoirs à son frère cadet Raul à la suite d'un "accident de santé", le président cubain Fidel Castro a annoncé que son état était "stable" et qu'il avait "bon moral".

Dans un communiqué, lu mardi 1er août à la télévision, Fidel Castro n'a pas caché qu'il faudrait attendre "avant de pouvoir prononcer un verdict", suite à l'opération intestinale à laquelle il a été soumise.

"Je ne peux inventer de bonnes nouvelles car ce ne serait pas éthique, et si les nouvelles sont mauvaises, seul l'ennemi va en tirer profit", a ajouté le leader cubain, qui aura 80 ans le 13 août. "Dans la situation spécifique de Cuba, en raison des plans de l'empire (les Etats-Unis), mon état de santé devient un secret d'Etat qui ne peut être divulgué constamment", s'est-il excusé auprès de ses compatriotes qui s'interrogent sur la gravité de son état après sa décision de renoncer "provisoirement" au pouvoir, pour la première fois depuis 1959.

Peu avant, le président du Parlement, Ricardo Alarcon, a démenti les rumeurs circulant aux Etats-Unis, qui annonçaient la mort du dirigeant cubain. Des nouvelles faisant état de "l'évolution positive du processus de rétablissement du président Castro" ont aussi été diffusées depuis le Venezuela.

Ce pays s'est converti en principal allié et partenaire commercial de l'île communiste, et son président, Hugo Chavez, se présente comme l'héritier spirituel de Fidel Castro. La bouffée d'oxygène apportée par les pétrodollars vénézuéliens a permis de consolider le régime castriste après le brutal ajustement de la "période spéciale", provoquée par l'effondrement du bloc soviétique à la fin des années 1980.

Tel un pater familias conscient que la fin approche, Fidel Castro s'est employé, ces derniers mois à organiser sa succession dans l'espoir de sauver sa révolution face aux efforts renouvelés des Etats-Unis pour promouvoir une transition démocratique débarrassée des frères Castro.

S'il a plongé la population dans l'incertitude, le scénario mis en place depuis "l'accident de santé" n'a pas surpris les diplomates et les opposants, qui y voient une répétition de ce qui se passera lors de la disparition du Lider Maximo.

"La délégation de fonctions à Raul Castro ne nous surprend pas car, historiquement, il a toujours été la deuxième figure de la révolution", explique Oscar Espinosa Chepe, un économiste indépendant libéré pour raisons de santé après avoir été condamné à vingt ans de prison lors de la vague de répression contre la dissidence au printemps 2003.

Prudent, il ne s'attend pas à des "changements significatifs immédiats", mais considère Raul Castro comme un "pragmatique qui pourrait apporter plus de flexibilité à la gestion économique". Aux autorités nord-américaines, l'ancien diplomate passé à l'opposition conseille "la prudence, voire des gestes de bonne volonté si le gouvernement cubain adopte des positions plus rationnelles".

Plusieurs cubanologues installés aux Etats-Unis, en Floride, jugent Raul Castro moins intransigeant et dogmatique que son frère. "Il me semble que Raul est fortement influencé par le modèle chinois", a déclaré au Miami Herald Brian Latell, ancien responsable de l'Amérique latine à la CIA (Agence centrale de renseignement américaine) et auteur d'un récent ouvrage intitulé Après Fidel.

A 75 ans, Raul Castro ne pourrait être qu'un président de transition. Pour l'assister, Fidel Castro a désigné des cadres du Parti communiste appartenant à plusieurs générations.

Certains, comme les médecins José Ramon Machado Ventura et José Ramon Balaguer Cabrera, sont contemporains de Raul Castro et appartiennent à la vieille garde.

Agé de 54 ans, Carlos Lage Davila a été le principal architecte des réformes économiques de la "période spéciale". Il a souvent remplacé Fidel Castro lors de voyages à l'étranger.

A 41 ans, le ministre des relations extérieures, Felipe Perez Roque, passe pour l'un des plus proches collaborateurs du président cubain. Il a été le premier à évoquer publiquement la disparition de Fidel Castro dans un discours prononcé en décembre 2005 devant l'Assemblée nationale.

Pour tenter de garantir la survie de la révolution, des mesures visant à "renforcer" le Parti communiste ont été prises. Eliminé dans les années 1990, le secrétariat, formé de douze membres, pour la plupart âgés de 40 à 50 ans, a été reconstitué. Cinq secrétaires provinciaux et deux ministres ont été relevés de leurs fonctions. La campagne contre la corruption n'a pas épargné les cadres communistes, comme Juan Carlos Robinson Agramonte, un dirigeant influent condamné en juin à douze ans de prison pour trafic d'influence.
Jean-Michel Caroit
Article paru dans l'édition du 03.08.06

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