6 juillet 2006
Médias
Vaccin contre l'intolérance
Steve Proulx
"Ce que je comprends, Cohen, c'est qu'en 1945, les Boches auraient pu finir le
boulot..." Cette réplique est de l'humoriste Dieudonné. Dieudo, pour les
intimes. Elle a été poussée dans un sketch, présenté bien avant LE sketch de
2003 qui a fait du comique franco-camerounais l'ennemi juré du Congrès juif en
entier, et de Bernard-Henri Lévy en particulier. Hors contexte, avouons que
dans le genre "remarque antisémite", on peut difficilement faire mieux. Or, à
l'époque, cette réplique n'a fait sourciller personne. Et n'a soulevé l'ire ni
du Congrès juif en entier ni de Bernard-Henri Lévy en particulier. Cette
réplique, en fait, a provoqué l'hilarité générale. Le rire, oui. Un truc
incontrôlable qui part du bas-ventre, qui remonte l'oesophage et qui sort par la
bouche sous forme de "Ha!" et de "Ho!". La question se pose. Pourquoi, jadis,
Dieudonné a-t-il pu se moquer de l'Holocauste sans se gêner, alors qu'il lui
suffit aujourd'hui de prononcer le mot "juif" pour être
taxé de chnoute antisémite? L'humoriste a une explication à cela, qu'il livre
lors d'une grande entrevue accordée à Stéphan Bureau, et qu'ARTV diffuse cette
semaine. C'est qu'à l'époque de la réplique susmentionnée, Dieudo formait un duo
avec Élie Semoun. Un Juif. Selon le comique, la présence d'Élie sur scène
légitimait, en quelque sorte, ce genre de propos indicibles. Peut-être...
Dieudonné est-il antisémite pour autant? Non, il n'est pas con tout de même.
Profite-t-il (financièrement) de la controverse qui entoure sa petite
personne? Bien sûr, il n'est pas con tout de même... On a tendance à
l'oublier, Dieudonné est avant tout un humoriste qui fait dire à ses personnages
des choses honteuses afin de provoquer une réaction. Mais aussi la réflexion. En
ce sens, comparer Dieudonné à la réincarnation d'Hitler me semble un brin
démesuré. Il existe tout de même deux ou trois subtiles différences entre le
comique et le Führer, à commencer par la coupe de cheveux. Dieudonné est comme
le bouffon du roi, qui ne faisait jamais autant rigoler que lorsqu'il se moquait
de la monarchie. Il met le doigt là où ça fait mal. Et il faut ne pas avoir vu
ses spectacles pour réduire son "oeuvre" à ses simples critiques du sionisme et
d'Israël. Je suis allé voir ce soi-disant antisémite dimanche dernier au TNM.
Pendant près de deux heures, il s'est moqué de toutes les religions, des Noirs,
des Arabes, des Chinois, des Juifs, de la France, de Jésus et des animaux en
voie de disparition. Ce qui m'a le
plus surpris par contre, c'est son public. On trouvait dans l'assistance des
Africains en djellaba, des musulmanes portant le hidjab, des Japonais vêtus du
traditionnel appareil photo, au moins un Arménien, des Québécois et peut-être
même quelques Juifs (je n'ai pas poussé mon enquête jusque-là). J'ai assisté à
quelques spectacles d'humour dans ma vie et rarement ai-je vu une assistance
aussi colorée. Cela change du public beige Laval de Martin Matte ou de Peter
MacLeod. Voilà pourquoi, au risque de passer pour un antisémite, j'ose dire
que Dieudonné est l'humoriste le plus pertinent du moment. C'est un comique
actuel, qui se moque de la diversité ethnique, de la mondialisation; qui sait
rire des fossés culturels qu'il faudra combler un jour. C'est un bouffon qui
s'amuse des hégémonies, de la pensée unique, qui tourne en ridicule ces
imbéciles qui voudraient que le globe soit divisé en deux axes: le Bien et le
Mal. De nos jours, le cancer de l'humanité, ce sont les
intolérances de tout un chacun. Guerres religieuses, conflits ethniques,
racisme. Dieudonné, je le vois comme un vaccin. En nous injectant ses
intolérances à coups de plaisanteries, il nous immunise contre celles-ci. Les
Grandes Entrevues Juste pour rire - Dieudonné, ARTV, le mercredi 12 juillet, 19
h 30 ooo MAGAZINE
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