Guerre contre le terrorisme ou expansion de l’
Empire Américain ? par William Blum.
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1er novembre 2002
Rares sont les Américains qui s’opposent publiquement aux campagnes militaires des États-Unis. William Blum, ancien fonctionnaire du département d État, journaliste et essayiste, n’hésite pas à s’en prendre à son propre gouvernement. Depuis le 11 septembre, il prononce des discours sur les campus universitaires pour dénoncer la politique étrangère des États-Unis et expliquer pourquoi il ne se considère pas comme un patriote.
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Intervention de William Blum le 16 Octobre 2002 A l’Université du Colorado à Boulder (USA) :
Je suis heureux d’être parmi vous, d’autant plus que les bombes n’ont pas encore commencé à tomber. Je veux dire sur l’Irak, pas sur Boulder. Le tour de Boulder viendra après celui de l’Irak et de l’Iran si des gens comme vous continuent d’inviter des gens comme moi à s’exprimer.
Ma première intervention publique après les événements du 11 Septembre 2001 s’est déroulée à l’Université de Caroline du Nord. Suite à cette intervention, moi-même ainsi que quelques autres intervenants avons été placés sur une liste publiée par une organisation créée par Lynne Cheney, la femme de qui vous savez. Le programme de l’organisation peut être facilement résumé par un rapport qu’elle a publié, intitulé "En Défense de notre Civilisation : Comment nos Universités Trahissent l’Amérique et Comment y Remédier". Dans ce rapport ainsi que sur leur site Internet, ils ont publié une longue liste de commentaires, formulés principalement par des professeurs et des étudiants de nombreuses écoles, qui indiquent que ces personnes ne soutenaient pas avec enthousiasme la dernière frénésie de bombardements de l’Amérique et que ces personnes étaient coupables de laisser sous-entendre qu’il y avait peut-être bien de bonnes raisons de haïr les Etats-Unis, ou plutôt de haïr la politique étrangère des Etats-Unis.
A cause de cette liste, et aussi à cause de certains de mes écrits qui ont suivi, je reçois de nombreux courriers haineux depuis un an, des courriers électroniques pour être précis. J’attends de recevoir mon premier courrier électronique infecté par la maladie du charbon. Il y a bien des virus dans les courriers électroniques, pourquoi pas des bactéries ?
Ces courriers haineux ne remettent pratiquement jamais en cause un fait ou une idée que je pourrais formuler. Ils me reprochent principalement d’être antipatriotique. Ils font référence à une sorte de patriotisme aveugle, mais même s’ils s’étaient exprimés en termes plus nuancés, ils auraient raison à mon sujet : je ne suis pas patriotique. Je ne veux pas être patriotique. J’irais même jusqu’à dire que je suis patriotiquement mis en cause.
De nombreuses personnes à gauche, aujourd’hui comme dans les années 60, refusent d’abandonner le terrain du patriotisme aux conservateurs. La gauche insiste pour dire que ce sont eux les véritables patriotes parce qu’ils exigent que les Etats-Unis agissent en respectant les principes affichés.
Tout ceci est parfait, mais je ne fais partie de cette gauche là. Je ne crois pas que le patriotisme soit une des caractéristiques les plus nobles de l’humanité.
George Bernard Shaw a écrit que le patriotisme était la conviction que votre pays était supérieur à tous les autres parce que vous y êtes né.
Et souvenez-vous que les Allemands qui ont soutenu le gouvernement Nazi peuvent être considérés comme des patriotes, et c’est justement ainsi que le gouvernement Allemand les qualifiait.
L’année qui vient de s’écouler n’a pas été facile pour les gens comme moi, entourés que nous sommes par cette orgie de patriotisme. Comment échapper à "Nous Sommes Unis" et "Dieu Bénisse l’Amérique" ? Et le drapeau -- on le voit partout. Si j’achète une banane on me la donne avec un drapeau Américain collé dessus.
A présent n’importe qui devient un héros, le maire de New York, Rudy Giuliani est devenu un héros. Jusqu’au 10 septembre il n’était un réactionnaire arrogant et sans pitié. Tout d’un coup, il est devenu un héros, et même un homme d’état, s’exprimant devant les Nations Unies. George Bush est aussi devenu un héros. Ceux qui le qualifiaient d’abruti le 10 septembre l’ont accueilli en héros et dictateur à partir du 11.
Dans la pièce de Bertholt Brecht, Galileo, un personnage déclare à un autre "Malheur au pays qui n’a pas de héros". Et l’autre répond "Non, malheur au pays qui a BESOIN de héros".
Bien que je ne sois fidèle à aucun pays ou gouvernement, je suis, comme la plupart d’entre vous, fidèle à certains principes comme la justice politique et sociale, la démocratie économique, les droits de l’homme.
Ce que je veux dire est ceci : si votre coeur et votre esprit vous disent clairement que le bombardement de pauvres innocents affamés est une chose terrible à faire et n’apportera pas plus de sécurité au peuple Américain, alors vous devez protester par tous les moyens possibles sans vous préoccuper d’être qualifiés d’antipatriotiques.
Malheureusement, il y a eu très peu de protestations contre les bombardements en Afghanistan. Je crois que cela démontre jusqu’à quel point les événements ont rendus les gens craintifs. Les événements et l’extension des pouvoirs de la police, menée par l’Ayatollah John Ashcroft [ministre de la justice des Etats-Unis - NDT]. Je crois aussi que les gens pensaient que quelles que soient les horreurs commises par les bombardements, nous allions être débarrassés de quelques très vilains terroristes anti-américains.
Mais parmi les milliers d’Afghans qui ont péri sous les bombes Américaines, combien pensez-vous ont eu un rôle quelconque à jouer dans les événements du 11 Septembre ? Je vais faire une estimation approximative et répondre "aucun". Et combien pensez-vous ont pris part un jour à un acte terroriste quelconque contre les Etats-Unis ? Nous ne le saurons jamais avec certitude, mais je pense que le nombre se situe entre zéro et dix, plus proche de zéro. Après tout, les actions terroristes ne sont pas si fréquentes que ça et sont généralement exécutées par une poignée d’hommes. Alors parmi tous ceux tués par les actions Américaines, combien faisaient partie d’une de ces poignées de terroristes, dont beaucoup sont par ailleurs déjà en prison ?
Souvenez-vous que la grande majorité de ceux qui se trouvaient dans un camp d’entraînement d’Al Qaeda en Afghanistan étaient là pour aider les Talibans dans la guerre civile et n’avaient rien à voir avec le terrorisme ou les Etats-Unis. Pour eux, il s’agissait d’une mission religieuse, rien à voir avec nous. Mais nous les avons tués ou maintenus dans des conditions de détention terribles sur la base navale de Guantanamo à Cuba depuis très longtemps maintenant, et ce n’est pas près de se terminer, et il y a eu de nombreuses tentatives de suicide parmi les détenus.
Il est tout à fait remarquable de constater que ce que nous appelons notre gouvernement continue de larguer des quantités énormes d’explosifs très puissants sur les têtes de personnes sans défense. Ce n’est pas ce qui avait été prévu. A la fin des années 80, Mikael Gorbatchev mit fin à l’état policier Soviétique, puis le Mur de Berlin est tombé et partout en Europe de l’Est les gens célébrèrent l’avènement d’une ère nouvelle. L’Afrique du Sud libéra Nelson Mandela et l’apartheid commença à se disloquer. Haïti connut ses premières élections libres et un président authentiquement progressiste fut élu... tout paraissait désormais possible et l’optimisme était aussi répandu que le pessimisme aujourd’hui.
Et les Etats-Unis se joignirent à la fête en envahissant et en bombardant Panama, quelques semaines à peine après la chute du Mur de Berlin.
Au même moment, les Etats-Unis sont intervenus sans vergogne dans une élection au Nicaragua pour défaire les Sandinistes.
Ensuite, lorsque l’Albanie et la Bulgarie, "fraîchement libérés de l’emprise du communisme", selon les termes employés par nos média, osèrent élire des gouvernements inacceptables au yeux de Washington, Washington intervint et renversa ces gouvernements.
Peu après il y eut le bombardement impitoyable du peuple Irakien pendant 40 horribles jours, sans aucune raison valable et ce fut la fin de nos espoirs d’un monde meilleur.
Mais nos dirigeants n’en avaient pas terminé pour autant. Peu après ils olt attaqué la Somalie, encore des bombardements et des tueries.
Et pendant ce temps, en Irak, les bombardements ont continué pendant des années.
Ils sont intervenus pour écraser des mouvements dissidents au Pérou, au Mexique, en Equateur et en Colombie, tout comme pendant la guerre froide des années 50 en Amérique latine, et les années 60, et les années 70, et les années 80 et encore pendant les années 90.
Puis ils ont bombardé le peuple Yougoslave pendant 78 jours et 78 nuits.
Puis, une fois de plus, ils sont ouvertement intervenus dans les élections au Nicaragua pour empêcher la victoire de la gauche.
Bien Sûr, pendant ce temps, ils étaient en train de bombarder l’Afghanistan et selon toute vraisemblance ont à présent tué plus de civils innocents dans ce pauvre pays qu’il n’y a eut de victimes dans les attentats du 11 septembre. Sans parler des victimes qui continueront de mourir de leurs blessures, des mines laissés par les bombes à fragmentation et de la contamination par l’uranium appauvri.
Et après toutes ces années, ils maintiennent toujours la corde serrée autour du cou de Cuba. Et ceci n’est qu’une liste partielle.
Nous n’avons pas touché les dividendes de la paix qu’on nous avait pourtant promises, pas plus les Américains que le reste du monde.
Mais que se passe-t-il, bon sang ? On nous avait appris depuis l’enfance que la guerre froide, y compris la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, les budgets militaires colossaux, toutes ces invasions et tous ces renversements de gouvernements - ceux qu’on connaissait - on nous apprenait que tout cela avait été accompli pour combattre une menace unique : La Conspiration Communiste Internationale, dont le siège se trouvait à Moscou.
Et que s’est-il passé ? L’Union Soviétique fut dissoute. Le Pacte de Varsovie fut dissout. Les pays satellites de l’Europe de l’Est retrouvèrent leur indépendance. Les anciens communistes sont même devenus capitalistes... et rien ne changea dans la politique étrangère des Etats-Unis. Mais l’OTAN a été maintenue, l’OTAN qui avait été créée - c’est du moins ce qu’on nous avait dit - dans le but de protéger l’Europe Occidentale contre une invasion Soviétique. Mais l’OTAN est toujours là, plus grande que jamais et devenant de plus en plus grande et de plus en plus forte de jour en jour. Une OTAN investie d’une mission globale. La charte de l’ONU fut même invoquée pour justifier la participation de ses membres à l’invasion de l’Afghanistan par les Etats-Unis.
Toute cette histoire a été une arnaque. L’Union Soviétique et cette chose appelée le communisme n’étaient pas, en tant que telles, l’objet des nos attaques. Il n’y a jamais eu de Conspiration Communiste Internationale. L’ennemi était, et demeure, tout gouvernement ou mouvement, ou même individu, qui se trouve sur le chemin de l’expansion de l’
Empire Américain, et ce quel que soit le nom que nous donnons à notre ennemi : communiste, état voyou, trafiquant de drogue ou terroriste...
Vous pensez que l’
Empire Américain est contre les terroristes ? Comment appelez-vous un type qui fait exploser un avion en plein vol en tuant 73 personnes ? Qui tente d’assassiner plusieurs diplomates ? Qui tire au canon contre des bateaux mouillés dans un port des Etats-Unis ? Qui place des nombreuses bombes dans des bâtiments commerciaux et diplomatiques aux Etats-Unis et ailleurs ? Et des dizaines d’actes similaires. Son nom est Orlando Bosch, il est Cubain et il vit à Miami et les autorités le laissent tranquille. La Ville de Miami a même déclaré une journée en son honneur - une Journée Orlando Bosch. Il sortit d’une prison au Venezuela, où il était détenu pour l’attentat contre l’avion, en partie grâce aux pressions exercées par l’Ambassadeur des Etats-Unis, Otto Reich, qui lui-même a été nommé au Département d’Etat au début de l’année par George Bush.
Bosch retourna aux Etats-Unis en 1988 et le Département de Justice le condamna en tant que terroriste violent et tout avait été préparé pour l’extrader. Mais la procédure fut bloquée par le Président Bush, le père, avec l’aide de son fils Jeb Bush en Floride. Est-ce que George W. et sa famille sont contre le terrorisme ? Et bien oui, ils sont contre les terroristes qui ne sont pas les alliés de l’
Empire.
Soit dit en passant, l’avion que Bosch fit exploser était un avion Cubain. Les Cubains le veulent pour ce crime et de nombreux autres. Les Cubains ont demandé à Washington son extradition. Pour Cuba, il est comme Ben Laden pour les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis refusent. Pouvez-vous imaginer la réaction à Washington si Ben Laden devait se promener à la Havane et que les Cubains refusent de l’extrader ? Pouvez-vous imaginer la réaction des Etats-Unis si la Havane devait proclamer une "Journée Ben Laden" ?
Le soutien accordé par Washington à d’authentiques organisations terroristes est très vaste. Pour ne donner que quelques exemples au cours de ces dernières années : les Albanais du Kosovo ont mené de nombreuses attaques terroristes pendant des années en différents endroits des Balkans, mais ils sont nos alliés parce qu’ils s’en sont pris à des gens que Washington ne porte pas dans son coeur.
Les paramilitaires en Colombie, aussi cruels soient-ils, seraient incapables de mener à bien leur sale boulot sans le soutien des militaires Colombiens, qui eux-mêmes sont les bénéficiaires d’un soutien quasi illimité des Etats-Unis. Ne serait-ce que pour cette seule raison, Washington est disqualifié pour mener une guerre contre le terrorisme.
Bush vocifère souvent contre l’asile accordé au terroristes. Est-ce que ce type est sérieux ? Quel pays héberge plus de terroristes que les Etats-Unis ? Orlando Bosch n’est qu’un exemple parmi les nombreux Cubains anti-castristes à Miami qui ont effectué des centaines, sinon des milliers, d’actes terroristes, aux Etats-Unis, à Cuba et ailleurs ; toutes sortes d’incendies volontaires, d’assassinats, d’attentats. Ils sont à l’abri ici depuis des décennies. Tout comme de nombreux autres terroristes amis, tortionnaires et violeurs des droits de l’homme du Guatemala, du Salvador, de Haïti, d’Indonésie et d’ailleurs, tous alliés de l’
Empire.
Sam 3 Juin - 20:05 par mihou