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 Carnet de route haïtien

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mihou
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mihou


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03062006
MessageCarnet de route haïtien

Carnet de route haïtien
Immense dignité dans l’extrême misère

Samedi 13 mai, huit heures, Cité Soleil. Les blindés de la Minustah -la mission de stabilisation des Nations unies en Haïti- stationnent toujours à l’entrée de l’immense bidonville. En janvier dernier, les Casques bleus se cachaient derrière des sacs de sable, ne quittaient pas leurs gilets pare-balles. Mais depuis le scrutin présidentiel, l’ambiance est plus détendue. Les soldats jordaniens, en simple T-shirt, discutent avec les gamins agglutinés autour des blindés blancs. Les ruelles sales du bidonville, classées «zone à haut risque» il y a quelques mois, sont aujourd’hui ouvertes à
l’étranger de passage. «Nous voulons la paix» assure Williams, désigné par ses voisins comme «chef de gang», mais qui se présente lui comme simple militant politique. Un homme passe, torse nu, revolver à la ceinture. «Un cas rarissime», assure William visiblement gêné. Dans son bureau, le colonel des soldats jordaniens en poste à Cité Soleil soupire : «Les armes sont muettes, mais elles sont toujours là.»


Dimanche 14 mai, jour de l’investiture du président René Préval, neuf heures du matin. Quelques dizaines de partisans d’Aristide manifestent devant le Parlement pour réclamer le retour de leur «héros». L’un d’entre eux nous prend à partie : «Vous êtes français, vous nous devez 21 milliards de dollars !» Allusion aux sommes versées à la France par le tout nouvel Etat haïtien au lendemain de son indépendance en 1804. La «restitution», un slogan lancé en son temps par l’ex-président Jean-Bertrand Aristide. Mais la veille, au soir de notre arrivée, dans le quartier aisé de Pétionville, un économiste haïtien nous expliquait : «Cette revendication était totalement idiote et démagogique. C’est comme si un homme muni d’une seule bouteille vide se faisait livrer le contenu de deux camions-citernes ! Toute l’eau serait gaspillée ! Plutôt que de réclamer des milliards, Aristide aurait mieux fait d’envoyer son ministre des Affaires étrangères négocier à Paris la construction de routes ou d’hôpitaux !». Dans l’après midi, des milliers de personnes sont agglutinées contre les grilles du palais présidentiel pour apercevoir leur nouveau chef d’Etat. Nombreux sont ceux qui portent le T-shirt jaune à l’effigie de René Préval. Un homme brandit la photo d’Aristide devant les caméras de télévision. Son voisin intervient : «Range moi cela ! Pour le peuple, le retour d’Aristide n’est pas une priorité !»

Lundi 15 mai, 14 heures, les Gonaïves. Des blindés de la Minustah stationnent devant le tribunal, ceinturé de barbelés. La cour d’appel statue sur le sort de cinq ex-ministres de Jean-Bertrand Aristide, soupçonnés d’assassinat, viol, et incendie lors du massacre du quartier de la Scierie à Saint-Marc en février 2004. L’ancien ministre de l’Intérieur somnole sur le banc des accusés. Le président, visage ridé, lunettes en écailles, robe noire, agite sa clochette régulièrement pour calmer les ardeurs des avocats qui s’empoignent sur des questions de procédure. Les journalistes haïtiens sont assis par terre, en nage ; la chaleur est réellement étouffante. «J’espère ne pas suer pour rien, j’espère que ce procès ira à son terme. Il faut mettre fin à l’impunité dans ce pays», confie un avocat des parties civiles, le soir, au bord de l’unique piscine de la ville, à l’hôtel Chachou.



Mardi 16 mai, sur la route vers Anse Rouge.
Claude Verlon, technicien de RFI et pour l’occasion chauffeur émérite de véhicule tout terrain, se donne à fonds sur la piste caillouteuse, jongle entre les profondes ornières. J’enregistre l’ambiance «route haïtienne» en prévision du reportage sur la longueur à diffuser à notre retour. «Surveille tes niveaux !», me lance le professionnel du son en observant d’un œil inquiet l’aiguille de mon magnétophone. A l’arrière, Amos, notre interprète pousse un cri soudain : le 4x4 est sorti de la piste, s’est empaillé dans les broussailles. Enregistrer ou conduire, il faut choisir. D’un regard, nous embrassons la mer turquoise, les montagnes pelées à l’horizon, un troupeau de chèvres en goguette sur la piste pierreuse. Séduite, je lance à Amos «Ton pays est magnifique !». Celui-ci me rétorque immédiatement : «Comment peut on trouver magnifique une terre qui ne peut pas nourrir ses habitants !» Plus loin, en bord de mer, la population de Coridon confirme : «Nous avons faim, soif, le pays n’est pas bon.». Les salines qui faisaient vivre toute la région ont été dévastées par le passage du cyclone Jeanne en septembre 2004. Seuls quelques petits tas de sel blanc étincellent, isolés sur des monceaux de boue. Après Jeanne, l’aide internationale s’est arrêtée aux Gonaïves, aucun engin de déblaiement n’est arrivé jusqu’ici, et c’est à la pelle que la population tente de dégager quelques parcelles de salines, pour survivre.


Mercredi 17 mai, Anse Rouge. Impossible de localiser le satellite, indispensable pour diffuser nos reportages. Les nuages, le soleil ou quelque malédiction empêchent toute communication. A Anse Rouge, au coin d’une ruelle, entre deux baraques aux toits de tôle déglingués, nous dénichons l’improbable : une connexion Internet haut débit. Pierre, le patron du centre de téléphonie, vient de l’installer, pour son usage privé, via un opérateur américain. Nous débarquons nos câbles, ordinateurs, magnétophones dans son bureau. «Faites comme chez vous, c’est un plaisir, une chance de vous avoir ici», assure Pierre. Il faut insister pour le payer.


En fin d’après-midi, nous reprenons la piste vers Source Chaude, un peu plus haut dans les montagnes. Polyxène Montpierre, propriétaire d’une jolie maison bleue, accepte de nous héberger. Le soir, le village s’emplit des chants des fidèles, venus prier à l’église pour des lendemains meilleurs. «Nous vivons à la merci de Dieu», explique Polymène. «Il est notre seul recours.» Adossée contre un mur en torchis, un peu plus loin, Bénita, vingt-huit ans, entre dans les douleurs de l’accouchement. Elle a déjà une petite fille de quatorze mois. «Vous ne voulez pas les adopter, elle et le bébé à naître ?», nous demande la jeune femme. Et elle ajoute : «Ce serait dur de s’en séparer, mais les voir mourir de faim est bien pire encore.»

Jeudi 18 mai, neuf heures, village de Mawo. Des cactus et un vent de poussière cernent quelques cabanes en torchis. Une fillette pleure. On lui donnerait trois ans, elle en a sept. Ses jambes sont décharnées, elle a faim. Les habitants nous montrent leur pitance quotidienne : une poignée de petit mil pour les plus riches, des fruits de cactus et de la soupe à la terre pour les autres. Misère extrême, et immense dignité : personne ne réclame rien à l’étranger de passage. Au contraire : la population nous remercie d’être venus prêter une oreille à sa douleur. Dans la voiture, sur la piste desséchée qui nous ramène vers le littoral, même Amos ne sourit plus.


Jeudi après midi, sur la côte des Arcadins, à une quarantaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince. Les enseignes qui bordent la route devaient être clinquantes autrefois, mais elles sont aujourd’hui ternies, bancales, décrépies : «Hôtel Paradis», «Kaliko Hôtel», «Plage de rêve». Les complexes touristiques se succèdent. «Dans les années 50 et 60, et même jusqu’à la chute de la dictature Duvalier, il y avait pas mal de touristes étrangers ici», précise Amos depuis la banquette arrière. Sur une plage de sable fin, Pierre, la soixantaine joyeuse sous un chapeau de paille, tente de vendre des colliers de corail noir. «Quand le Club méditerranée était ouvert, ça marchait les affaires !», lance-t-il. Le club est fermé depuis années, mais le site a été racheté. «Il paraît qu’ils vont rouvrir en décembre. Ce serait une si bonne nouvelle», espère Pierre. Une femme blanche quinquagénaire se prélasse sur la plage aux côtés d’un jeune et bel haïtien. Ils se donnent la main. «Tourisme sexuel, sans aucun doute», lâche Amos, dégoûté. Et il ajoute : «Je préfère la misère à ce type de profit.»

Jeudi soir, à Péguiville, sur les hauteurs de Port-au-Prince. Au moins dix voitures sont garées devant la maison de Robert Labrousse, un industriel dont l’usine a été pillée en janvier dernier. Marcel, le gardien, nous accueille avec un délicieux jus de fruits frais. «C’est la réunion du jeudi», explique-t-il. Dans le salon, un économiste, une employée d’ambassade, un scientifique, un notaire discutent de la mise en place de cuisines populaires dans les quartiers défavorisés de la capitale. Sur la terrasse, d’autres notables travaillent sur le statut juridique du projet. «La population de ce pays n’a plus confiance en ses élites», constate un photographe, «On leur a seriné que ceux qui avaient réussi dans ce pays étaient responsables de leur misère. Mais c’est faux ! Mettre en place ces cuisines populaires, sortes de restos du cœur gérés avec les habitants des quartiers, c’est renouer le lien social, forger l’unité en Haïti.» Robert ajoute : «Il faut nous retrousser les manches maintenant. Nous avons attendu trop longtemps ! On ne peut pas compter sur le seul gouvernement !». Et, ravi, il précise : «Notre initiative rencontre un réel engouement : à chaque réunion ici, je découvre de nouvelles têtes. Les expatriés aussi veulent participer. Il y a beaucoup de volontaires pour aider à sortir le pays du marasme».

par Anne Corpet

Article publié le 24/05/2006 Dernière mise à jour le 24/05/2006 à 16:08 TU

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