LE CORBEAU ENCORE UNE FOIS
Mon enquête dit la vérité, par Denis Robert Je suis dans l'oeil du
cyclone depuis quelques semaines. Ce n'est pas un choix de ma part. C'est ainsi.
Depuis qu'Imad Lahoud est venu me voir à Metz, j'ai constamment observé,
cherchant la vérité dans cet imbroglio où les intérêts des uns et des autres
s'imbriquent et se heurtent tellement que tout le monde s'y perd. Imad Lahoud
(lire également page 3) s'est présenté à moi comme un broker. Je lui ai remis le
listing Clearstream 2001 parce qu'il me l'a demandé pour éclairer un dossier (où
il se disait victime) et parce qu'il m'a proposé de m'aider à avancer dans mon
enquête. Je prépare un livre sur le sujet, je suis dans une logique de
journaliste et d'écrivain. J'ai compris plus tard qu'il travaillait pour la
DGSE, les services étant intéressés par le rôle éventuel joué par Clearstream
dans la dissimulation de diverses transactions liées au terrorisme.
Un rapport sortira de ce travail, montrant, une fois de plus, le rôle de cette
entreprise dans l'opacification des transactions financières. La presse en a
fait état, accréditant ainsi ce que j'explique depuis longtemps.
J'ai remis ce même listing, qui a servi de base aux lettres du corbeau, à Ernest
Backes, contrairement à ce que ce dernier affirme dans Libération du 13 mai.
Ernest, coauteur avec moi de mon premier livre sur Clearstream (Révélation$, les
Arènes, 2001), détenait déjà un listing 2000 où les mêmes noms propres
apparaissaient (Gomez, Martinez, mais avec d'autres prénoms). Le détail est
important et démontrable, car je n'ai bien évidemment jamais ajouté d'autres
noms dans ce listing. Il ne figurait à l'époque aucun nom d'hommes politiques ou
d'industriels ou de vedettes du show-biz. Je ne suis l'auteur d'aucune lettre,
d'aucune enveloppe et ne suis en rien lié à ces manipulations.
Ernest Backes, qui en a été l'un des cadres fondateurs, a quitté la firme en
1982. Il m'a permis de comprendre au début de mon enquête le fonctionnement de
ce qui s'appelait alors Cedel et qui deviendra Clearstream. D'habitude, les
auteurs ne mettent pas le nom de leur source sur la couverture de leur livre. Je
l'ai fait, lui cédant la moitié des droits.
Nos destins se sont ensuite séparés. Ernest Backes n'a pas accepté que j'aie
voulu rencontrer d'autres informateurs et prendre d'autres contacts. J'ai écrit
un second tome de mon enquête, la Boîte noire, en 2002, où il n'était plus qu'un
protagoniste parmi d'autres, à son grand dam. Il vit également sous la pression
des procédures harassantes de Clearstream et de la magistrature luxembourgeoise,
qui lui conseille de prendre ses distances avec moi.
Dans Libération du 13 mai, il minimise en effet à dessein le rôle de Régis
Hempel, vice-président de Clearstream dont il était le responsable informatique,
avec plus de 150 informaticiens de haut niveau sous ses ordres. Quand Régis
Hempel explique devant la mission parlementaire ou les tribunaux français, sous
serment, qu'il était chargé d'effacer les traces de transactions financières
portant, quotidiennement, sur plusieurs dizaines de millions de dollars, il est
crédible. Clearstream a tenté de l'empêcher de parler en portant plainte pour
infraction au devoir de réserve (et non pour diffamation). La firme a perdu en
première instance et fait appel. Cet élément est fondamental pour qui
s'intéresse à l'affaire Clearstream 1 ou 2. C'est ce contact avec Hempel que
cherchait d'abord Imad Lahoud.
Je ne savais pas que le juge Van Ruymbeke avait vu Jean-Louis Gergorin avant
l'envoi des lettres. Je l'ai appris en lisant le Canard enchaîné. De même, je
n'ai jamais dit que Lahoud m'avait confié que le corbeau était Rondot, puis
Juillet. Il m'avait dit qu'il avait pour contact, référent, protecteur, ces deux
pontes des services secrets. Quant aux listes originelles qui ont servi de base
à mes livres, elles n'ont jamais été remises en cause par Clearstream. Les
tribunaux ont, à plusieurs reprises, estimé mon enquête suffisamment sérieuse
pour ne pas me condamner du chef de diffamation quand j'ai mis en cause la
multinationale et son système de transfert de valeurs.
Si le système Clearstream est légal, son dévoiement est évident. Ce sont ses
clients, et parmi eux des particuliers, qui blanchissent ou noircissent des
fonds. Clearstream ne blanchit pas, c'est un outil idéal pour dissimuler et
effacer les traces entre clients. La nuance est de taille. Et le ou les corbeaux
l'ont bien compris. Toutes ces manipulations, c'est l'évidence aujourd'hui,
n'ont pu exister que parce que mon enquête est solide. C'est là que
malheureusement j'interviens.
Denis Robert, journaliste, écrivain.
Paru dans Libération du 17 mai