Courrier international, no. 728
Amériques, jeudi 14 octobre 2004, p. 28
ORGANISATION DES ÉTATS D'AMÉRIQUE
Ce scandale de corruption qui secoue l'OEA
Andrés Oppenheimer
El Nuevo Herald (Miami)
Les aspirants dictateurs d'Amérique latine doivent être à la fête : le scandale de corruption qui a éclaboussé pendant près de deux semaines l'Organisation des Etats américains (OEA) à quasiment paralysé cette institution. Or elle était devenue, ces dernières années, une ligne de défense essentielle contre les autocrates du continent. Malgré son ancienne réputation de club de diplomates à la retraite, connue pour les cocktails donnés dans son majestueux siège de Washington, l'OEA s'était attiré le respect de beaucoup en agissant comme un instrument de défense collective de la démocratie dans la région. Forte de 34 membres, l'organisation a su éviter des coups d'Etat militaires et constitutionnels à Haïti, au Paraguay et au Pérou, et a plus récemment joué un rôle de médiateur dans la crise politique vénézuélienne. En outre, sa Commission des droits de l'homme, agence semi-autonome qui est aussi son plus beau fleuron, a courageusement dénoncé les violations commises dans toute la région. L'OEA est malheureusement paralysée par le scandale qui touche son tout nouveau secrétaire général, Miguel Angel Rodríguez, désormais démissionnaire. L'affaire a éclaté au début du mois d'octobre, avec les révélations du quotidien La Nación (de San José), selon lesquelles Rodríguez, ancien président du Costa Rica, aurait reçu en 2001 une partie d'un pot-de-vin de l'entreprise de télécommunications française Alcatel. L'actuel président costaricain, Abel Pacheco, qui avait soutenu la candidature de Rodríguez à l'OEA, a envoyé une lettre exigeant sa démission "au nom de la réputation" du Costa Rica. Des fonctionnaires des Etats-Unis et d'autres pays de l'OEA affirment que ce scandale relève des affaires intérieures du Costa Rica, et que l'affaire doit être jugée devant les tribunaux de ce pays. Mais ils craignent qu'elle ait sapé l'autorité morale de l'OEA en matière de défense de la démocratie et de lutte contre la corruption dans la région. La démocratie ne tient plus qu'à un fil au Venezuela et dans plusieurs pays andins, et les membres de l'OEA négocient actuellement des mesures anticorruption, qui doivent être approuvées lors du Sommet des Amériques de 2005. Personne ne sort indemne de cet embrouillamini. La réputation d'honnêteté de Rodríguez est fortement mise à mal. Le président Pacheco donne l'image d'un président irresponsable qui a déstabilisé le système interaméricain avant même qu'une accusation en bonne et due forme ait été portée. Le Costa Rica, l'une des démocraties modèles du continent, passe pour un paradis de la corruption. Plus l'OEA sera affaiblie par cette affaire, plus les autocrates et les corrompus de toute l'Amérique latine auront l'impression d'avoir carte blanche.