Les Palestiniens aussi peuvent choisir la paix

"An Nahar", Beyrouth

Pour défaire Ariel Sharon, les Palestiniens devraient non seulement arrêter les attentats, mais encore présenter un plan de paix crédible, estime "An Nahar".


Lorsque Ehoud Barak, il y a deux ans, a démissionné de son poste de Premier ministre pour appeler à des élections anticipées en Israël, il n’imaginait pas ouvrir ainsi la voie à Ariel Sharon et lâcher la bride à une machine de guerre aveugle. Et, si Sharon est aujourd’hui contraint d’anticiper la convocation du corps électoral, il n’imagine sans doute pas un instant perdre son poste. Mais ce qui s’est produit en 2001 pourrait se répéter en 2003 : la bataille électorale pourrait être l’occasion de remettre en selle le camp de la paix.


En apparence, les circonstances ne sont guère favorables. La société israélienne est devenue plus violente. De plus, la simultanéité entre la campagne électorale et le fait que les Etats-Unis font monter la pression à propos de l’Irak est susceptible d’alimenter les réflexes sécuritaires des électeurs, au plus grand profit de l’extrême droite. Cependant, le pari de Sharon n’est absolument pas garanti, et une surprise est possible. La leçon profonde qu’il faut tirer de la vie politique israélienne n’est-elle pas qu’elle manque cruellement de stabilité ? Il suffit pour s’en assurer de jeter un coup d’oeil en arrière sur tout ce qui s’est produit depuis la chute de Yitzhak Shamir, peu après le début du processus de Madrid : l’élection de Yitzhak Rabin, accusé de traîtrise et assassiné ; l’élection de Benyamin Nétanyahou et sa chute retentissante ; la victoire écrasante d’Ehoud Barak et son humiliante défaite ; l’élection de Sharon et le délitement de la coalition qu’il dirigeait...


Il ne serait donc pas si étrange qu’après un brusque tournant à droite on repasse de nouveau à gauche. Celui qui est capable d’un tel changement s’appelle Amram Mitzna. L’importance du personnage est liée au fait qu’il se trouve en dehors du jeu politique actuel, puisqu’il ne cache pas son soutien à la création d’un Etat palestinien, ni sa conviction d’un nécessaire retrait israélien des Territoires palestiniens occupés. Son discours, qui semble d’un autre âge au regard des orientations actuelles de l’opinion publique israélienne, n’a pas empêché cet ancien général de l’armée de soulever un grand espoir chez les militants travaillistes. Si nous ajoutons à cela les autres qualités de Mitzna, un certain charisme et une expérience militaire, éléments toujours à même de rassurer l’électorat israélien, il ne serait pas impossible que cet enthousiasme se transmette des rangs du Parti travailliste à l’ensemble du corps électoral.


Il demeure que les élections israéliennes ne se déroulent pas en vase clos et que l’électeur israélien n’est pas le seul à prendre part à la décision. Le jeu mené par certaines parties “extérieures” se reflète dans le choix de l’électeur israélien. L’“ennemi palestinien” vient en tête de ces joueurs “extérieurs”, avant même l’allié américain. D’autres joueurs arabes influent aussi sur l’électorat, mais seuls les Palestiniens sont à même de peser sur les choix effectifs. Bien entendu, la tâche n’est pas simple pour les Palestiniens, d’autant que leur front se révèle dangereusement éclaté. Les forces actives de la minorité arabe d’Israël font parfois des paris différents de ceux de l’Autorité palestinienne. La population palestinienne des zones autonomes ne suit pas nécessairement les décisions de cette Autorité. Il est clair à ce propos que, si le Hamas et le Djihad islamique utilisent de nouveau l’arme des attentats suicides pendant la campagne électorale, cela ne pourra aboutir qu’à un vote en faveur de Sharon.


Mais s’abstenir de faire exploser des bombes pourrait ne pas suffire. Les Palestiniens devront fournir un effort plus large s’ils estiment que leur intérêt national commande de défaire l’extrême droite au pouvoir, ce qui semble une évidence. Dans ce cas, il leur faudrait penser dès maintenant à une initiative marquante, par exemple un plan palestinien pour une paix globale, soutenu par une annonce de trêve totale (en l’imposant sur le terrain) et renforcé par une position clairement affichée par les Etats arabes. Encore faut-il espérer que le précédent de 1996 ne se reproduira pas, quand le pari secret de certains Arabes était de voir triompher l’extrémisme israélien et qu’ils avaient trouvé parmi les Palestiniens des relais bien prompts à faire parvenir le mauvais message aux électeurs israéliens.


Samir Kassir