La corruption, ça se combat
Thomas Hanke
Handelsblatt (Düsseldorf)
Thomas Hanke a dirigé le service politique du Financial Times Deutschland à Berlin, avant de devenir l'un des grands éditorialistes de Handelsblatt. Son livre Der neue deutsche Kapitalismus (Le nouveau capitalisme allemand) paraîtra le 16 mars aux éditions Campus.
La vie politique américaine est ébranlée par l'affaire Jack Abramoff, du nom du lobbyiste américain corrompu qui a reconnu s'être rendu coupable d'escroquerie et de parjure. Washington attend avec angoisse ce qu'Abramoff risque de déballer sur ses contacts avec une brochette de membres influents du Congrès. Ironie du sort, ce scandale éclate au moment même où l'affaire des députés allemands parvient à son dénouement. Tout a commencé l'an dernier, quand il a été révélé que certains députés CDU avaient des activités parallèles tenues secrètes. L'affaire avait atteint son paroxysme quand les à-côtés perçus par des parlementaires SPD avaient été rendus publics à leur tour.
On peut parler de dénouement pour deux raisons : tout d'abord, de nouveaux règlements sont entrés en vigueur au début de l'année ; ensuite, plus personne n'en parle. C'est regrettable car le problème n'est qu'en partie résolu. Ajoutées aux compétences du président du Bundestag, les nouvelles dispositions portant sur les activités secondaires des députés constituent un durcissement important. Même Transparency International Allemagne se dit impressionné et parle d'un progrès considérable. A juste titre, car, pour la première fois, l'opinion publique peut savoir quelles sont les activités d'un député en dehors de son mandat et, surtout, combien cela lui rapporte. Jusqu'à présent, tout cela pouvait rester très discret ; tout au plus devait-on qualifier l'activité en question. Désormais, tous les parlementaires ont jusqu'à la fin du mois de mars pour communiquer toutes ces informations, qui seront ensuite accessibles sur Internet. Autre nouveauté : les sanctions financières recommandées, dont le président du Bundestag pourra menacer tout député contrevenant.
On déplore cependant que le Bundestag n'ait pas, dans la foulée, imposé une nouvelle réglementation à l'autre partie de l'affaire - les lobbyistes qui s'efforcent d'influencer les députés à Berlin. Car il est au moins aussi urgent de contrôler les agissements des lobbyistes et d'exiger d'eux davantage de transparence que d'imposer de nouvelles obligations aux députés.
Bien des choses ont changé dans le monde des agents d'influence professionnels. Leur impact s'est accru : ils sont plus nombreux et ils s'occupent de façon plus professionnelle de leurs cibles. On voit intervenir de plus en plus d'agences spécialisées en public affairs, qui emploient souvent des spécialistes très qualifiés. Nul ne sait exactement combien d'entre elles sont en activité auprès du Parlement et du gouvernement.
La liste officielle du Bundestag répertorie 1 930 organisations. Cette liste, introduite en 1972, est le seul outil utilisé par le Parlement. Elle révèle peu de choses : l'inscription y est facultative, et les bénéficiaires et les objectifs des associations ne sont souvent pas clairs. L'une d'entre elles déclare, par exemple, avoir pour objet de "préparer la voie à des contacts d'affaires multilatéraux et de réseaux d'entreprises transnationaux". Les organisations doivent certes préciser le nombre de membres qu'elles représentent, mais elles le font rarement et, quand elles le font, il n'y a pas grand-chose à tirer des informations communiquées. Une association d'agriculteurs largement inconnue se targue par exemple de compter 1,1 million d'adhérents, tandis qu'un groupe d'intérêt de l'industrie de l'armement prétend ne regrouper que 21 individus. C'est difficile à croire dans les deux cas.
Certains groupes de pression, la Deutsche Public Relations Gesellschaft par exemple, ont réagi aux récents scandales en adoptant un code de conduite et seraient prêts à tenter de réglementer le secteur. Chose incompréhensible, l'intérêt est limité du côté du Bundestag. Certaines mesures simples - par exemple l'obligation pour chaque groupe de préciser son domaine d'activité et de nommer ses donneurs d'ordre sur la liste, qui est réactualisée par voie électronique - permettraient pourtant de parvenir à une certaine transparence. Le cas d'Abramoff montre que la réglementation a peu d'effet si elle ne s'accompagne pas de contrôles. Or les contrôles passent par la transparence.
(Voir aussi l'enquête sur l'affaire Abramoff )