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 DE LA MONDIALISATION POLITIQUE

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Tite Prout
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Tite Prout


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16052006
MessageDE LA MONDIALISATION POLITIQUE

DE LA MONDIALISATION POLITIQUE
Par Charles ZORGBIBE

Les traits fondamentaux du nouveau système international restent flous.

Au lendemain de la paix de 1945, les lignes de force du nouveau système bipolaire étaient apparues très vite, comme en témoigne le fameux rapport de George Kennan adressé de Moscou au Département d' Etat en mars 1946 et publié sous la signature de M. X en Juillet 1947, par la revue Foreign Affairs. Rien de tel aujourd'hui: Dix ans après la chute du Mur de Berlin et la guerre du Golfe, les traits fondamentaux du nouveau système international restent flous.


Toutes les interprétations sont ouvertes, allant du retour à un monde classique d'États nations - du même type que celui " d'avant Sarajevo 1914 " - aux prophéties sur un " conflit des civilisations " ou à l'annonce, après le triomphe du modèle démocrate libéral, de la fin des grands affrontements historiques.


Au-delà de ces modèles théoriques, quelles sont les tendances qui pourraient caractériser le système international de la prochaine décennie ? Plusieurs sont à l'oeuvre simultanément.

L'utopie de Kant - une communauté universelle des droits de l'homme, communauté "cosmopolitique", présente virtuellement dans les consciences - semble se concrétiser, deux siècles après avoir été pensée par le philosophe de Koenigsberg. La mise en place des tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, la création d'une Cour pénale internationale, la chasse aux anciens dictateurs et la banalisation du discours sur "le droit d'ingérence" montrent que l'esprit du temps est bien à l'établissement d'un "État de droit international", fondé sur des États de droit nationaux et sur l'exclusion des "nations non républicaines ", pour reprendre le vocabulaire de Kant.
Cependant, la mise en oeuvre de ce grand projet révèle de nombreuses contradictions.
D'une part, le droit d'ingérence est très sélectif : il s'arrête aux portes des membres les plus puissants de la communauté des États. L'application du droit d'autodétermination est souvent incohérente. Pourquoi reconnaître si rapidement l'implosion de l'ex- Yougoslavie et imposer une structure étatique artificielle à la Bosnie, cette Yougoslavie en réduction?
D'autre part, les décalages de civilisation sont trop grands d'un continent à l'autre, voire d'une nation à l'autre, pour que la révolution dans les esprits soit la même partout. Le risque est que la nouvelle éthique internationale apparaisse imposée par l'Occident , non sans une certaine arrogance parfois. La révolution kantienne n'aurait alors abouti qu'à un nouveau " cercle des nations civilisées " à la manière du XIX" siècle - une nouvelle démonstration de la bonne conscience occidentale.

Le Monopole incontesté de l'ETAT, aujourd'hui dépassé

Depuis les traités de Westphalie, le monopole de l'État comme unique acteur sur la scène internationale semblait incontesté. Aujourd'hui, il a volé en éclats sous la pression des organisations interétatiques, mais surtout des organisations non gouvernementales et des entreprises multinationales dont on chante la puissance dans ces " palmarès croisés " où se juxtaposent le produit national brut des Etats et le chiffre d'affaires des firmes mondiales. Même pour les " souverainistes " les plus classiques, le rôle central de l'État n'est plus une évidence: le temps n'est plus où les diverses sources de puissance - économique, culturelle, scientifique pouvaient être mises au crédit de la puissance collective étatique. Mais n'exagère-t-on pas le déclin de l'État ? Le problème de la légitimité des organisations non gouvernementales va se poser. Si on sait ce que représentent les forces politiques au sein d'un parlement national, comment jauger la représentativité des organisations internationales " de citoyens " qui entendent jouer un rôle croissant dans tant de domaines de la politique mondiale? Quant au couple État / entreprise multinationale, les < cartes qui restent dans les mains du plus modeste des États africains restent décisives lorsque s'ouvre le dialogue avec une firme voulant établir une filiale sur son territoire.
L'intensification des flux migratoires est une autre caractéristique.
Il y a un siècle, une Europe surpeuplée se transportait vers le reste d'un monde souvent vide d'habitants. Ces flux sont aujourd'hui inversés: les nations d'Europe et d'Occident n'assurent plus leur continuité démographique et deviennent les terres promises de peuples du tiers-monde en surnombre dans leurs régions d'origine, fascinés par ce qui subsiste du rêve américain ? ou de l'État providence européen. Des problèmes psychologiques et politiques peuvent surgir. Ainsi, le " modèle républicain " français est particulièrement menacé par ces flux migratoires, plus que d'autres nations dont le principe n'est pas l'assimilation, mais la juxtaposition de communautés séparées.

Le monde actuel est également à la recherche d'une sécurité collective décentralisée.
Une fois passé "l'état de grâce" qui accompagna la chute du mur et la guerre du Golfe, l'Organisation des Nations unies a donné de nombreux signes d'essoufflement. Le consensus semble ébranlé entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. L'ONU, dont la structure reflète le monde de 1945, semble impossible à réformer, comme le prouve l'échec des tentatives d'élargissement du cercle des membres permanents. En outre, l'habitude prise de confier la responsabilité d'opérations de maintien de la paix à des " sous-traitants" nationaux - les Etats-Unis en Haïti par la résolution 940 du 31 juillet 1994, la France au Rwanda par la résolution 929 du 22 juin 1994 - ne pourra pas être prolongée, car elle aboutirait à la reconstitution des "sphères d'influence" traditionnelles.

L'avenir est à la montée en puissance des organisations continentales de sécurité collective, comme le montre le rôle croissant de l'OSCE en Europe et de l'OEA en Amérique latine. En Afrique, les forces d'interposition au Libéria et en Sierra Leone sont celles de la Communauté d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), tandis que d'autres organisations sous régionales jouent les médiatrices: la Communauté d'Afrique australe (SADC) aux Comores et au Congo-Kinshasa, l'Autorité intergouvernementale d'Afrique orientale (JOAD) au Soudan, en Somalie et entre l'Érythrée et l'Éthiopie. Il resterait à imaginer une structure régionale pour l'Extrême Orient asiatique, seule région du monde qui en soit dépourvue et la plus grosse de conflits potentiels.
Au total l'espoir, surgi au lendemain des révolutions de 1989, d'une société apaisée grâce au triomphe de " l'idée libérale" était-il une illusion ? En réalité, des conflits avec des puissances secondaires - tels ces "rogue states", ces États délinquants pris pour cible par les stratèges du département d'État - n'affecteraient pas la nature du système international de l'après-guerre froide. Les vraies interrogations portent sur d'autres points. Peut-on être certain du caractère pacifique des États démocratiques, ou commet-on l'erreur de Marx et des marxistes, convaincus du caractère naturellement pacifique des États socialistes? Les États libéraux sont-ils à l'abri d'un retour en force de pulsions nationalistes ou autres? Surtout, à Pékin et à Moscou, l'opinion publique et les dirigeants sont-ils définitivement gagnés à "l'idée occidentale" ? Des retours en arrière sont-ils à exclure chez ces deux puissances, ce qui entraînerait la réapparition d'un " ennemi global" ?

Une nouvelle fracture internationale mettant en jeu des puissances du poids de la Fédération de Russie ou de la Chine, mettrait fin à l'après-guerre froide et ramènerait à la situation de 1917- celle d'un système international déchiré.


L'ère des interventions humanitaires

Les années 1988-1990, années du " tournant " d'un système international à l'autre, ont été marquées par rapprochement des sensibilités collectives, par une sorte de réunification de la communauté internationale, après un siècle de guerre civile transnationale. Le temps semblait venu d'obtenir
Une reconnaissance générale des " interventions humanitaires ", d'élargir le droit humanitaire des conflits armés à toute " situation d'urgence ", de légaliser l'action des organisations non gouvernementales de secours et d'affirmer le droit, "pour les populations en détresse, de recevoir une aide internationale "d'urgence, lorsqu'elles ne peuvent être secourues par leurs propres pouvoirs publics.
Ce fut l'objet de résolutions de l'Assemblée générale puis du Conseil de sécurité des Nations unies. La résolution 43-131 du 8 décembre 1988 affirme avec une grande force le principe du libre accès aux victimes, qui ne doit être entravé ni par l'Etat d'accueil ni par les Etats voisins -l'État où se trouve le territoire visé conservant tout de même un rôle prioritaire. Avec la résolution 45-100 du 14 décembre 1990, l'Assemblée générale " pousse les feux " de l'ingérence humanitaire. Elle renforce le principe du libre acheminement de l'assistance à travers le territoire de l'Etat en proie à un sinistre en créant des " couloirs humanitaires ", inspirés du " droit de passage innocent " dans les eaux territoriales d'un Etat riverain (article 17 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer). Certes, ces résolutions ne sont pas contraignantes. Simples recommandations, elles ne peuvent être assimilées à la création d'un nouveau droit. Les notions mêmes de secours immédiat et d'accès aux victimes ont suscité les réserves de nombreux Etats du tiers-monde.

Ceux-ci récusent la notion d'urgence pour mettre l'accent sur une aide efficace au développement qui, seule, permettrait d'éviter ou d' atténuer une situation de détresse. Pourtant, ces deux résolutions ne sont pas restées des coquilles vides. Dès 1988, l'Union soviétique de Gorbatchev, .confrontée à un terrible séisme en Arménie, ouvre ses frontières aux sauveteurs, sans visa, pour la première fois de son histoire. La pratique des couloirs humanitaires allait être appliquée, dès juin 1991, pour le ravitaillement des populations du Sud Soudan, par un itinéraire fluvial à travers le Nil bleu et la rivière Sobat, avant d'être développée en Croatie et en Bosnie.

L'entrée en lice du Conseil de sécurité a modifié la perspective dans laquelle s'inscrivent les préoccupations humanitaires. Organe principal des Nations unies en matière de maintien de la paix, véritable " bras séculier " de l'organisation mondiale en matière de sécurité collective, le Conseil est à même de prendre des décisions obligatoires pour les États membres - ce qu'il fit par la résolution 688 du 5 avril 1991 exigeant du gouvernement de Bagdad "un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les parties de l'Irak" ; il s'agissait en l'occurrence des populations kurdes soulevées contre Bagdad. L'ingérence dans les affaires internes était, cette fois, manifeste. Des " relais humanitaires " furent mis en place sur le sol irakien, les routes et pistes de montagne empruntées par les Kurdes furent balisées d'hôpitaux mobiles et d'entrepôts, tandis que des " gardes bleus " de l'Onu étaient déployés. Toutefois, la résolution 688 s'appliquait à un État vaincu. De même la 794, par laquelle le Conseil de sécurité constatait, le 3 décembre 1992, "l'ampleur de la tragédie humanitaire" somalienne, visait un pays sans gouvernement et qui semblait provisoirement privé de sa substance étatique. .
L'inflation médiatique qui accompagna l'émergence de ce nouveau droit de l'urgence - ou de l'ingérence - humanitaire a suscité nombre de controverses. On est allé jusqu'à sacraliser un droit "annonciateur d'un nouvel état de l'humanité". Jean-Christophe Rufin railla ces intégristes de l'ingérence qui distinguent deux phases dans l'histoire de l'humanité: l'état de jungle, marqué par des démarches humanitaires instinctives symbolisées par Noé, "premier secouriste, organisateur . des premiers secours d'urgence", puis l'état de civilisation, le droit de secourir à travers les frontières les victimes de toutes les catastrophes, ainsi que l'émergence d'un idéal de justice internationale contre toutes les tyrannies.
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DE LA MONDIALISATION POLITIQUE :: Commentaires

Tite Prout
Re: DE LA MONDIALISATION POLITIQUE
Message Mar 16 Mai - 19:40 par Tite Prout
La portée de ce droit de l'urgence ou de l'ingérence humanitaire doit en tous cas être circonscrite. D'une part, ce nouveau droit ne modifie pas
en profondeur le droit international général. Notre société mondiale est, certes, une société d'interdépendance, voire d'interpénétration, cherchant
de plus en plus à élaborer de véritables politiques intérieures de la cité planétaire, à lancer des actions transnationales dans des domaines qui relevaient exclusivement jusque là des différentes souverainetés étatiques. Et
les États ont accepté d'être encadrés par une organisation internationale.
Depuis le pacte Briand-Kellogg jusqu'à l'article 2, paragraphe 4, de la
Charte de San Francisco, leur droit de recourir à la force a été contenu,
puis prohibé. Mais le droit international reste fondamentalement un droit
de juxtaposition des souverainetés; il est moins l'expression d'un idéal normatif qu'une technique au service des politiques étrangères, en tant que "code chiffré des relations internationales (Stanley Hoffmann).

Des choix difficiles

Au demeurant, l'affirmation d'un droit d'ingérence n'est pas une panacée. Le principe de non-intervention se réclame lui aussi de la morale, internationale, en protégeant les États les plus faibles contre les interventions impériales. Faut-il choisir entre l'alibi des tyrannies et celui des nouveaux impérialismes? Force est de reconnaître qu'entre l'idéal de l'État de droit national, les rapports entre États et le droit cosmopolitique cher à Kant, la conciliation est difficile... Par ailleurs, ce nouveau droit ne doit pas occulter plus d'un siècle de construction d'un droit humanitaire international, formé de strates successives. Le "droit de La Haye" ou droit des conflits armés, régit le comportement des belligérants dans la conduite des opérations militaires. Le "droit de Genève", ou droit humanitaire au sens strict, tend à sauvegarder la population civile ainsi que les militaires hors de combat. On peut même y ajouter le droit coutumier, qui a longtemps contribué à humaniser les guerres civiles. De la "reconnaissance de belligérance" du XIXème siècle (laquelle semble revitalisée aujourd'hui, dès lors que le gouvernement légal de Colombie va jusqu'à attribuer une assise territoriale à l'organisation insurgée avec laquelle il négocie) à l'article 3 des Conventions de Genève de 1949 et aux Protocoles additionnels de 1977, ce droit très original, d'une grande cohérence, est progressiste dans sa technique.Un organisme privé, le Comité international de la Croix-rouge (CICR), gère ainsi un véritable service public international. Il exerce dans le concert des États un droit général d'initiative qui lui est reconnu par une série de conventions interétatiques.

Le nouveau droit de l'urgence humanitaire est certes calqué sur le droit
humanitaire des conflits armés. La résolution 43-131 de l'ONU reconnaît
aux organisations non gouvernementales "sans frontières", en cas de conflit armé, des facilités d'accès et d'intervention comparables à celles qu'ont accordées à la Croix-Rouge internationale les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels de 1977 : une " juridisation" bien paradoxale pour des ONG qui, dans un premier temps, refusaient toute filiation avec l'action d'une Croix-Rouge jugée trop respectueuse des souverainetés étatiques, et qui voulaient dynamiser l' action d'urgence sur le terrain, en marge du droit existant.

La " diplomatie humanitaire "

Le développement d'une "diplomatie humanitaire" débordant du champ du droit humanitaire pour entrer dans celui de la sécurité collective a suscité d'autres controverses. On a critiqué une " imbrication militaro humanitaire " - l'enchevêtrement des préoccupations humanitaires et du maintien de la paix - dénoncé une nouvelle langue de bois, le novlangue humanitaire" comme l'aurait dénommé George Orwell dans son 1984, s'il avait pu prévoir cette nouvelle idéologie dominante. Le procès est ouvert. Encore faut-il distinguer deux catégories de prévenus: les organisations non gouvernementales et l'État.

L'action des ONG peut irriter, dans la mesure où elle reflète l'idéologie du "village planétaire", avec sa générosité mais aussi son simplisme et sa confusion. La communication devient une obsession, car le témoignage public et l'image brute de la détresse physique doivent susciter l'émotion, seule à même d'arrêter les tentations de génocide. Mais, du coup, toute analyse des conflits dans leur complexité est rejetée: les militants "sans . frontières" se veulent des praticiens de l'urgence, leur but est la préservation de la vie biologique. Le monde qu'ils présentent est sans aspérité, jusqu'au jour où il est troublé par des crises et des catastrophes peu expliquées. La démarche est anti-politique, fondée sur une vision très restrictive du rôle de l'État, comme s'il s'agissait de délimiter un champ humanitaire privé et de délégitimer les pouvoirs publics - ceux de leur propre État comme de l'État en crise. Une démarche anti-politique d'autant plus paradoxale que les organisations humanitaires, placées au c?ur des conflits de notre temps, deviennent de véritables acteurs internationaux. Cela dit, une nouvelle génération de responsables humanitaires a pris conscience de ces contradictions et entend revenir à la fonction - non négligeable - de vigiles exercées par les militants et organisations "sans frontières".
L'intrusion de l'État protecteur - celui dont ressort l'organisation humanitaire, non celui en situation de détresse - pose de tout autres problèmes. Quelle forme doit prendre son intervention pour être légitime ? Que l'État propose sa coordination opérationnelle, voire son partenariat actif à celles des ONG qui les souhaitent ou les acceptent peut sembler positif. Mais ce "soutien technique de l'action humanitaire" est perverti lorsque l'emprise des pouvoirs publics se fait croissante, que l'action non gouvernementale sert de relais à l'État et que ce dernier devient lui-même " humanitaire", brouillant toutes les identités. Les militants associatifs sont alors assimilés à l'Etat dont ils sont les ressortissants et perdent leur label de neutralité.
De fait, l'aide d'urgence a souvent été érigée en enjeu d'État et l'humanitaire est devenu une forme de l'action gouvernementale. Le pouvoir médiatique aidant, le succès dans l'ambiguïté est assuré: la compassion tient lieu de démarche étatique, elle dispense de choix politique à opérer et d'objectifs
à définir.

Les Etats, tout comme les organisations de sécurité collective, sont tentés de limiter leur action à l'humanitaire, entretenant ainsi la confusion sur la mission qu'ils s'assignent. Dans les guerres de sécession yougoslaves, la garantie du libre accès des secours aurait pu être la conséquence des missions classiques d'interposition et de maintien - ou d'imposition de la paix. Mais la démarche humanitaire fut mise en premier et la protection des convois d'aide devint une fin en soi. Par la résolution 770 du 14 août 1992, le Conseil de sécurité s'affirmait résolu à "acheminer l'aide humanitaire partout où elle est nécessaire en Bosnie-Herzégovine".
L'usage de la force est autorisé, mais limité à la protection de ces seuls .::
convois. Les États, les organisations et les coalitions interétatiques finissent par se piéger eux-mêmes et deviennent les otages d'une "gestuelle humanitaire". Le résultat, lors du conflit du Kosovo, est un mélange des genres contre lequel nous mettait naguère en garde le président du CICR : "Vouloir fusionner ces deux fonctions distinctes, militaire et humanitaire, en une seule et unique démarche dont les États, en se substituant aux organisations humanitaires, assureraient la mise en ?uvre [...] ne peut qu'amener l'action humanitaire à une impasse".

Comment rompre cette confusion préjudiciable? Les polémiques qui ont accompagné et suivi le conflit du Kosovo -l'Alliance atlantique a-t- elle réagi à une épuration ethnique menée par les Serbes, ou a-t-elle "aggravé, par son intervention, ladite épuration? - sont révélatrices de la défiance que suscitent, dans une partie de l'opinion internationale, les divers alibis humanitaires. La mise en place, auprès du Conseil de sécurité, d'une instance indépendante d'évaluation des situations humanitaires constituerait un progrès sur le chemin de la transparence des opérations de maintien ou d'imposition de la paix et un élément important d'un réseau de diplomatie préventive.

L'aspiration à une existence étatique est toujours à la source de nombreux conflits internes contemporains. Des experts américains évaluent à quatre cents le nombre des diverses revendications d'autodétermination exprimées aujourd'hui dans le monde. Dans ce contexte, on pourrait souhaiter la création d'une juridiction internationale d'un nouveau type, devant laquelle peuples ou minorités pourraient plaider pour leur droit à l'autodétermination ou porter plainte pour violation de leurs droits à l' autonomie. Le droit pourrait être dit avant tout recours à la force.

Pour les juristes classiques du XIX" siècle, la "protection d'humanité"
était la seule intervention armée licite. Elle se fondait sur une "lésion de
la société humaine", dès lors que l'une des parties à un conflit enfreignait
les principes élémentaires du droit international et les droits humains fondamentaux. Un État pouvait ainsi être contraint d'intervenir à l'étranger
pour protéger la vie de ses nationaux, lorsque les réclamations diplomatiques
restaient sans effet. La doctrine classique étend ce droit d'intervention à la protection des "droits de l'humanité", par exemple aux ressortissants de l'État qui s'effondre dans une guerre civile. Encore faut-il que la situation soit assez tranchée pour ne pas laisser place au doute.

La protection d'humanité a souvent servi d'alibi aux politiques de puissance. Elle a facilité, au XIX" siècle, les expansions coloniales. Il n'en reste pas moins que de telles situations se multiplient dans le monde de l'Après-guerre froide, particulièrement en Afrique, de la Somalie au Libéria et à la Sierra Leone. Comment s'en tenir à la règle traditionnelle du consentement de l'État directement concerné lorsqu'il n'existe plus, que son appareil s'est effondré et que la sécurité des personnes vivant sur son territoire n'est plus assurée? Après l'évaluation de l'instance indépendante, la qualification de "protection d'humanité" par le Conseil de Sécurité donnerait sa solennité à l'intervention de la communauté internationale.


Charles ZORGBIBE

Professeur de Sciences Politiques à Paris I Sorbonne
Directeur du Centre de Politique Internationale
Président du comité éditorial de Géopolitique Africaine

http://www.geopolitis.net/geopol/geo/article/traversantes/arti10355396497AE3B66B2ED7B1A8E8.html
 

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