Le populisme gazier inquiète les géants de l’énergie
11 mai 2006
Evo Morales, président de Bolivie, nationalise l'exploitation des gisements gaziers de son pays. Le prix élevé de l'énergie donne des idées aux gouvernements de certains Etats producteurs. Mais qui en profitera ?
Le niveau élevé des cours du pétrole et du gaz, ainsi que les annonces des bénéfices historiques d'Exxon et Total, donnent des idées aux hommes politiques. Le président bolivien, le socialiste Evo Morales, élu l'an dernier, a choisi le 1er mai pour signer un décret nationalisant l'exploitation des gisements gaziers du pays, la deuxième réserve d'Amérique du Sud.
A l'échelle mondiale, la décision ne pèse guère. Elle embarrasse plusieurs compagnies privées, notamment Petrobras (Brésil), Repsol YPF (Espagne) et Total, qui exploitent des gisements gaziers. La production n'étant exportée que vers le Brésil et l'Argentine, l'influence sur les marchés mondiaux est minime. L'impact est surtout symbolique. La décision intervient après une série d'actions politiques à caractère nationaliste. Leur point commun : elles concernent les sources d'énergie.
Venezuela. Le président Hugo Chávez vient d'annoncer une nouvelle taxe de 33 % sur l'extraction du pétrole. Elle remplace le système actuel des royalties sur le pétrole, de 17 %. Et devrait rapporter $ 885 millions par an. Une manne en partie destine au financement de logements. Pour les Etats-Unis, le Venezuela est le 1er fournisseur étranger de pétrole brut.
Equateur. La part des bénéfices du pétrole prélevée par l'Etat passe de 20 % à 50 %.
Russie. La compagnie d'Etat, Gazprom, 1er producteur mondial de gaz, a provoqué un choc en interrompant brièvement ses livraisons à l'Ukraine fin 2005. En avril dernier, elle a menacé l'Union européenne d'aller vendre son gaz ailleurs, en Chine ou en Amérique. Ce mouvement d'humeur faisait suite au refus de la Grande-Bretagne de lui céder un distributeur national de gaz, Centrica. La compagnie russe boude aussi la demande de l'UE d'ouvrir le pipeline international de Gazprom à la concurrence.
La Bolivie suit la politique menée par le Venezuela, qui augmente les recettes du pétrole pour financer la politique sociale. Les présidents des deux pays s'entendent fort bien. Ils ont récemment signé avec Fidel Castro, à Cuba, une alliance baptisée Alba (Alternativa Bolivariana para América, alba voulant également dire «aube» en espagnol), concurrente à la FTAA (Free Trade Area of the Americas) proposée par les Etats-Unis. Ils visent avant tout à contrer l'influence des USA en Amérique latine.
Un enfer pavé de bonnes intentions ?
Les raisons ne manquent pas pour justifier le contrôle public des ressources énergétiques. La Bolivie est un pays pauvre, le 126e dans le classement de la richesse par habitant (produit intérieur brut/habitant), avec $ 3.009 annuels, juste devant le Ghana. L'argent du gaz est présenté comme un moyen de faire avancer les choses.
Une nationalisation n'est pas la meilleure solution pour autant. Les sociétés publiques ne sont pas forcément des exemples d'efficacité. Elles tendent à investir moins que celles du privé, car les pouvoirs publics sont tentés de récupérer une bonne part des revenus. Souvent très politisées, elles ne sont pas immunisées contre la corruption. Dans le cas de la Bolivie, elles ne rendront pas le pays indépendant des compagnies privées. Au contraire : la nationalisation décidée par Evo Morales maintient la présence de compagnies privées. D'autres contrats devront être négociés.
En attendant, l'idée pourrait faire florès. «Ce n'est qu'un début, a déclaré Evo Morales. Demain ou après-demain, ce sera le tour des mines, puis des exploitations forestières.»
Robert van Apeldoorn
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