La Presse
Actuel, vendredi 31 mars 2006, p. ACTUEL1
DÉLICAT MACARON
Beauchemin, Robert
Collaboration spéciale
En France, il y a des personnages historiques. Et il y a des plats historiques. Prenez le macaron, qui n'est rien d'autre au fond qu'un biscuit patriarche : un peu de sucre, mélangé à des amandes et incorporé à des blancs d'oeufs battus avant d'être cuits quelques minutes. Y a-t-il plus simple ? Pourtant, dans la simplicité réside souvent la plus grande difficulté. Regard sur une vénérable pâtisserie qui n'a jamais été aussi à la page.
On pense connaître le macaron depuis les oeuvres de Rabelais, lorsqu'il apparaît autour de 1552 dans le Quart Livre du (très) grand gourmand. Et si son origine est probablement italienne - il est possiblement arrivé dans les bagages des pâtissiers des Médicis - on sait que les pères en fabriquaient dans les monastères au Moyen Âge.
L'historienne Maguelonne Toussaint-Samat parle de deux écoles du macaron : la moelleuse à la manière des petits fours, et la dure, façon biscuits secs. Le macaron moderne se situerait entre les deux. Ce que l'on sait avec plus d'exactitude, c'est que la ville de Nancy a été la première à les commercialiser de façon constante dans les carmels, selon les principes de sainte Thérèse d'Avila, qui estimait que "les amandes sont bonnes pour ces filles qui ne mangent pas de viande".
Aujourd'hui, on croit encore que les meilleurs macarons viennent de cette ville de l'est de la France. En revanche, certains guides disent la même chose de ceux de Bordeaux, de Saint-Émilion ou de Ladurée, la célèbre maison parisienne.
Mais le macaron a aussi franchi les frontières. Chez le très célèbre chef américain Thomas Keller, par exemple, à qui l'on doit les restaurants French Laundry dans la vallée de Napa et Per Se à New York, tous les convives ont droit à un petit paquet de macarons à leur départ...
Pas une sinécure
La préparation des macarons n'est pas une sinécure, ce qui est souvent le cas avec des recettes qui ne comportent que quelques ingrédients, et quelques minutes de cuisson: plus c'est simple, plus c'est compliqué ou surtout précis. Il s'agit de contrôler la texture des macarons AVANT la cuisson, pour qu'ils ne cuisent pas trop vite, ne s'assèchent pas, restent moelleux à l'intérieur et légèrement croustillants à l'extérieur.
Bertrand Bazin, pâtissier en chef du Club 357C, dans le Vieux-Montréal, pense que le plus délicat dans la confection des macarons, c'est le mélange. " Si on mélange trop, ça risque de tomber complètement. Et puis, il y a la température, surtout le degré d'humidité. C'est mieux de faire les macarons l'hiver parce que l'humidité est moins importante dans la maison. Il faut qu'à la cuisson, ça fasse une petite croûte. "
Ensuite le four: selon le type, électrique, à gaz ou à convection, il faudra faire des essais pour trouver la combinaison parfaite. Mais quand je lui demande si, pour nous cuisiniers amateurs, il y a de l'espoir de faire un jour un macaron parfait, il répond: " Mais oui, faut juste suivre les indications à la lettre. "
Le chef Jérôme Ferrer du restaurant Europea, croit lui aussi que le macaron doit être fait avec beaucoup de soin et que la réussite tient au contrôle de l'humidité. Ainsi, dans un four électrique commun, il croit qu'on devrait toujours vaporiser un peu d'eau en dessous du papier parcheminé, entre le papier et la plaque sur laquelle on dépose les macarons avant de les faire cuire. Et même s'il ne s'en sert pas lui-même, il recommande aussi l'utilisation du tapis siliconé Silpat pour les cuisinières électriques, ce qui donne d'assez bons résultats.
Depuis que le macaron est devenu le symbole d'une certaine France sophistiquée, urbaine, il a pris des couleurs. Du macaron jaune pâle à une seule face qu'il était il y a 100 ans, il s'est aujourd'hui paré de dizaines de teintes.
Bertrand Bazin recommande de prendre des colorants végétaux, qu'on trouve dans la plupart des supermarchés. Mais il estime qu'un macaron, " c'est un classique et que ça devrait rester sage dans les parfums ". Il ajoute qu'il en fait au chocolat, à la pistache, au citron et ne " s'aventure pas dans des parfums trop osés, comme on en voit parfois ".
À l'Espace boutique Europea, on propose des macarons de plusieurs variétés, qui changent quotidiennement parce que le chef Ferrer estime qu'un " macaron doit être frais chaque fois et ne jamais avoir ce goût de frigo ".
Ce qui n'empêche pas de les laisser reposer, afin qu'ils prennent la température de la pièce avant d'être servis.
Bref, ce tout petit gâteau double, croustillant et moelleux à la fois, rempli de crème, de confiture ou de ganache chocolatée, renforce le sentiment national d'appartenance à une certaine France, sophistiquée, simple, et irrésistiblement sexy.
CARNET D'ADRESSES
> Europea, Espace boutique. 33, rue Notre-Dame Ouest, (514) 844-1572.
> L'Amour du pain. 393 rue Samuel-de-Champlain, Boucherville, (450) 655-6611.
> Pâtisserie San Marco, 1581 rue Jean-Talon Est, Saint-Léonard, (514) 727-5401.
> Pâtisserie de Gascogne, 237 avenue Laurier Ouest, Montréal, (514) 490-0235, 4825, rue Sherbrooke Ouest (514) 932-3511, 6095, boul. Gouin Ouest (514) 331-0550, 940 boul. Saint-Jean, Pointe-Claire, (514) 697-2622.
Illustration(s) :
Les macarons du nouvel Espace boutique Europea, dans le Vieux-Montréal, où ils sont proposés tous les jours, fraîchement préparés.
Quelques macarons entrevus à travers la vitrine de la boutique Europea.