« Inventer un couple nouveau »
Michel Onfray*
Sauf rares exceptions, la solitude existe seulement parce qu'on la construit par incapacité à créer du lien. Pour quelles raisons ? Parce qu'on est passé d'un excès à l'autre : premier excès, le couple monogame, fidèle, cohabitant, procréant, construisant une famille pour la vie. Construction en dur... Deuxième excès, en réponse au premier, l'antithèse du modèle antédiluvien : le désir de commencer par la fin, d'obtenir tout et tout de suite sans construire, et la pulvérisation de toute histoire dès la première difficulté. Construction en mou...
On jette, on ne prend pas le temps, on ne construit rien de solide, et l'on s'étonne de coucher dehors... Sous l'oeil du prêtre et du maire, les anciens voulaient l'éternité et la permanence ; dans l'ombre des niches vides, désertées par les dieux, les modernes ont la précarité et le chaos. Avant : un partenaire pour la vie, quoi qu'il en coûte ; maintenant : aucun, quel qu'en soit le prix. Dans les deux cas, absence de bonheur... Or la solution ne réside ni dans le vieil agencement pétrifié sur des fictions ni dans l'absence de relations à cause de la croyance en de nouvelles mythologies. Le renoncement à soi dans une histoire à deux n'est plus de mise ; pas plus le renoncement à l'autre. La solution ? Inventer un couple nouveau qui procède des nouvelles possibilités d'existence chères à Nietzsche.
Et lequel ? Viser la paix, la tranquillité, la sérénité de la relation à deux.
- modèle : le couple ataraxique proposé par Lucrèce ; vouloir la douceur, l'amitié, la prévenance, la tendresse et la délicatesse.
- Modèle Saint-Evremond / Ninon de Lenclos : en regard de cette dernière leçon, articuler la passion pivotale et la papillonnante.
- modèle Fourier : en finir avec le tropisme reproductif et la condamnation aux familles.
- Modèle Sartre / Beauvoir : construire avec le partenaire choisi pour l'éternité, sachant qu'elle ne dure qu'un temps... Mais sa longueur peut parfois excéder le cours d'une vie...
* Philosophe. Dernier ouvrage paru : « Miroir aux alouettes » (Adam Biro).
© le point 16/05/03 - N°1600 - Page 58 - 334 mots