pouvoir de fraternisation entre musulmans et juifs ?
Y a-t-il une issue ? Une haine apparemment inextinguible est au fond
du cœur de presque tous les Palestiniens et comporte le souhait de faire
disparaître Israël. Chez les Israéliens, le mépris est de plus en plus
haineux, et également semble inextinguible. Mais la haine séculaire entre
Français et Allemands, aggravée par la seconde guerre mondiale, a pu se
volatiliser en vingt années. De grands gestes de reconnaissance de la
dignité de l’autre peuvent, surtout en Méditerranée, changer la situation.
Des Sémites (n’oublions pas que plus de 40 % des Israéliens
d’aujourd’hui viennent de pays arabes) peuvent bien un jour reconnaître leur
identité cousine, leur langue voisine, leur Dieu commun. L’énormité de la
punition qui s’abat sur un peuple coupable d’aspirer à sa libération
va-t-elle enfin provoquer dans le monde une réaction autre que de timides
objurgations ? L’ONU sera-t-elle capable de décider d’une force
d’interposition ? Sharon ne peut qu’être contraint à renoncer à sa
politique.
Il y eut le 11 septembre 2001 un électrochoc qui, au contraire, l’a
encouragé. La "guerre au terrorisme" américaine lui a permis d’inclure la
résistance palestinienne dans le terrorisme ennemi de l’Occident, de façon à
ce que le tête-à-tête israélo-palestinien devienne un face-à-face non entre
deux nations mais entre deux religions et deux civilisations, et
s’inscrive dès lors dans une grande croisade contre la barbarie intégriste.
L’électrochoc inverse est en fait advenu. C’est l’offre saoudienne de
reconnaissance définitive d’Israël par tous les pays arabes en échange du
retour aux frontières de 1967, conformément à toutes les résolutions des
Nations unies. Cette offre permettrait non seulement une paix globale entre
nations mais une paix religieuse qui serait consacrée par le pays
responsable des lieux saints de l’islam. On peut donc envisager une
conférence internationale pour arriver à un accord comportant une garantie
internationale.
De toutes façons, les Etats-Unis, dont la responsabilité est
écrasante, disposent du moyen de pression décisif en menaçant de suspendre
leur aide, et du moyen de garantie décisif en signant une alliance de
protection avec Israël.
Le problème n’est pas seulement moyen-oriental. Le Moyen-Orient est
une zone sismique de la planète où s’affrontent Est et Ouest, Nord et Sud,
riches et pauvres, laïcité et religion, religions entre elles. Ce sont ces
antagonismes que le cancer israélo-palestinien risque de déchaîner sur la
planète. Ses métastases se répandent déjà sur le monde islamique, le monde
juif, le monde chrétien. Le problème n’est pas seulement une affaire où
vérité et justice sont inséparables. C’est aussi le problème d’un cancer qui
ronge notre monde et mène à des catastrophes planétaires en chaîne.
edgar morin est sociologue,
sami naïr est député européen (Mouvement des citoyens),
danièle sallenave est écrivain, maître de conférences à l’université
Paris-X-Nanterre.
par Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave