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 LES INDIGENES ET LE MYTHE REPUBLICAIN

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mihou
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mihou


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07062005
MessageLES INDIGENES ET LE MYTHE REPUBLICAIN

LES INDIGENES ET LE MYTHE REPUBLICAIN

LES INDIGENES ET LE MYTHE REPUBLICAIN
Publié le 20 mai 2005 par Laurent Lévy.
http://toutesegaux.free.fr/article.php3?id_article=203


...

Et toute vengeance ? Rien !... - Mais si, tout encor,

Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats,

Périssez ! Puissance, justice, histoire, à bas !

Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d’or !

Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur

Mon Esprit ! Tournons dans la morsure : Ah passez,

Républiques de ce monde ! Des empereurs,

Des régiments, des colons, des peuples, assez !

...

(Arthur Rimbaud, 1871)

L’Appel dit « des Indigènes » adopte, à l’égard de la République, une attitude tellement désinvolte que c’est là l’un des grands reproches qu’on a pu formuler à son encontre. La République est en effet en France, un genre de tabou pour la plupart des courants de la vie politique et intellectuelle.

Il faudrait un véritable travail d’ethnologue pour recueillir les différentes versions et décrypter le mythe qui fonde ce tabou que révèrent les dominants, mais que les Indigènes comprennent d’emblée pour ce qu’il est en fait : un simple gri-gri que l’on agite pour les cantonner dans leur situation dominée.

*

A cet égard, la loi du 23 février 2005 est pleine d’enseignements. On sait que cette loi entend faire obligation aux professeurs d’histoire des lycées et collèges de mentir à leurs élèves, en valorisant l’œuvre positive (sic) de la France dans ses colonies. Christian Vanneste (député UMP du Nord) affirme à propos de cette loi révisionniste, dont il l’est l’un des auteurs, que « c’est le rôle de la loi de dire le contenu de l’enseignement et de donner aux citoyens des buts d’éducation civique ». Le problème posé par ce texte est ainsi d’une réelle richesse théorique, pour qui s’intéresse aux rapports qu’entretiennent, dans la République, politique et vérité.

Que ce soit le rôle de la loi de dire le contenu de l’enseignement peut d’abord être contesté sur le plan juridique : le ‘domaine de la loi’, qu’on l’approuve ou qu’on le regrette, est en effet limité par la Constitution en vigueur à des questions plus générales. C’est au pouvoir réglementaire qu’il appartient de définir les programmes scolaires, et ce sont les Inspections Générales de l’Education Nationale qui les élaborent. Le législateur est heureusement resté dans les années soixante-dix à l’abri de la querelle des ‘mathématiques modernes’. La loi n’a pas grand-chose à faire avec la vérité, et nul n’imagine une loi imposant d’enseigner que deux et deux font cinq, ou que la Lune est un énorme fromage épinglé sur le velours céleste. Le cas, pourtant, n’est pas sans précédent. On se souvient du procès de Giordano Bruno ou de celui de Galilée. Aujourd’hui encore, dans une grande nation moderne comme les Etats-Unis, la question de l’enseignement de la théorie de l’évolution est régulièrement posée.

Ce n’est pas simplement avec la vérité, que la loi n’a en principe pas grand-chose à faire, mais aussi avec l’histoire : ce qui importe au législateur, en effet, ce n’est a priori pas l’histoire, mais la politique. Non ce qui a eu lieu hier, mais ce qui doit avoir lieu aujourd’hui et demain. Pourtant, c’est une évidence que l’histoire intéresse la politique ; mais ce n’est pas pour ce qu’elle dit du passé, c’est pour ce qu’elle fait du présent. C’est parce que l’histoire informe les consciences vivantes que la politique peut être tentée de la réécrire, ou d’en travailler l’interprétation. Ce qui est en cause, ce sont les hommes et les femmes d’aujourd’hui, parce que leur mémoire agit sur leurs représentations du monde, et donc sur leur investissement dans le monde actuel et dans son avenir. Il en allait déjà ainsi avec l’Affaire Galilée. La véritable question n’était bien sûr pas de savoir si la Terre tourne vraiment (« et pourtant... »), ou si elle ne se tient pas plutôt immobile dans un ciel parfait. Elle était de savoir si l’autorité absolue de l’Eglise pouvait être mise en cause. C’est la cohérence du système ptolémaïque avec l’idéologie qui fondait le pouvoir des papes et des évêques, qui justifiait qu’on brûlât Giordano Bruno ou qu’on condamnât Galilée au silence. Il en va ainsi avec le passé colonial de la France.

Ce qui intéresse nos politiques, ce n’est pas tant de savoir si la colonisation a vraiment inondé l’Afrique de ses bienfaits, que d’obtenir, de préserver, de conforter l’allégeance à la République coloniale de celles et ceux qui en sont les victimes. S’il faut taire la vérité sur le colonialisme passé, c’est pour cacher la vérité du colonialisme présent. C’est pour éviter la décolonisation de la République à laquelle appellent ses ‘Indigènes’.

*

Pourquoi en effet est-il si difficile à la République d’assumer son passé ? Pourquoi le révisionnisme en matière coloniale est-il si prégnant - bien au-delà de la loi du 23 février 2005 ? Après tout, il ne reste sans doute en vie aucun survivant des responsables des crimes coloniaux, des enfumades d’Algérie aux massacres de Madagascar. Ce n’est pas seulement pour préserver le confort moral d’un quarteron de tortionnaires en retraite, voire celle de leurs enfants, que la société s’arc-boute sur la négation de son passé. C’est que ce passé est celui qui met en lumière les contradictions mêmes d’un système qui se veut de la plus belle et cohérente perfection. Ce sur quoi bute la mémoire de la vérité, ce sont en fait les apories du mythe républicain.

Le récit de ce mythe, dans son épure, est relativement simple, si l’on s’abstrait de ses différentes variantes. Il pourrait s’énoncer ainsi :

« La France est une République. C’est sa chance et sa grandeur. L’idée républicaine est issue de la Révolution Française, modèle universel de l’émancipation humaine, elle-même héritière des Lumières que la France a apportées au monde. Nous vivons aujourd’hui sous la cinquième République, car la République est à la fois une et plusieurs : elle se numérote. La République par excellence est la troisième, au cours de laquelle furent adoptées ce que le préambule à la constitution de la quatrième, repris par celle de la cinquième, appelle « les grandes lois de la République ». La République est grande et généreuse. Chacun y compte pour un . L’emblème de la République est une femme courageuse et belle, coiffée du bonnet phrygien, et dont le nom de baptême est Marianne. La devise de la République, son idéal, ce vers quoi elle s’efforce toujours de tendre, est « Liberté, Egalité, Fraternité ». Cette devise est inscrite au fronton des écoles républicaines <écoles de garçons comme écoles de filles - même si ces écoles sont devenues mixtes depuis une quarantaine d’années>, des mairies républicaines, des monuments républicains. Et c’est beau. Le système républicain est ainsi le plus égalitaire qui soit. L’idéal républicain est essentiel à l’identité française. Nos pères ont lutté pour la elle . Gare à qui s’en prend à la République ! »

La République est donc, dans l’imaginaire informé par ce mythe, indissolublement et tout à la fois un ensemble d’institutions - dont le bouleversement caractérise le passage d’une République à l’autre - soutenues par un ensemble de lois et de règlements (la ‘Loi républicaine’), et un certain nombre de principes que ces lois et institutions sont censées incarner. Au-delà, elle est caractérisée par les politiques mises en œuvre dans le cadre de ces institutions et à travers ces lois et règlements. Le mythe mêle ainsi - c’est le propre des mythes - le temporel et l’intemporel.

La grande force de ce mythe, c’est qu’il permet ainsi d’imbriquer un idéal indiscutable - liberté, égalité, fraternité... qui pourrait être contre ? - et des politiques contestables, odieuses, voire criminelles : les ségrégations et discriminations de tous ordres ; l’exploitation capitaliste ; l’accaparement du pouvoir par une caste professionnelle ; le colonialisme ; le néocolonialisme ; la gestion postcoloniale de la société, etc. Il en résulte qu’on peut difficilement critiquer ces politiques sans avoir l’air de s’en prendre à l’idéal.

Le mythe - et c’est bien là sa fonction - empêche tout accès à la réalité, parce que, dès qu’on interpelle la République sur ses politiques réelles, elle se drape dans ses idéaux prétendus. La substance de ce mythe n’est donc pas la République elle-même ; c’est ‘l’idée républicaine’.

*

Il n’est pas de mythe dont l’intemporalité plonge réellement ses racines dans la nuit des temps, et l’archéologie d’un mythe peut révéler des origines qui ressortissent plus à l’actualité politique qu’à l’épigraphie antique. Malgré cela, lorsque, comme c’est le cas du mythe républicain, il est riche d’une certaine complexité, ses interprétations et exégèses se superposent parfois en palimpsestes indéchiffrables.

On peut dès lors trouver avantage à isoler, aux fins d’analyse, un aspect du mythe républicain : Choisissons celui de la « République de l’égalité ».

Les éléments d’un mythe peuvent parfaitement comporter une part de vérité. Tel n’est pas le cas de cet élément-ci. La « République de l’égalité » n’est pas seulement un mythe, c’est un mensonge. Jamais, à aucun moment de l’histoire républicaine, l’égalité n’a été l’horizon de la République. L’affirmation de la citoyenneté n’a à aucun moment correspondu ou tendu à correspondre à une réalité générale. Le mot « Egalité » n’a jamais fait autre chose que servir de masque à son contraire, et de justification aux politiques qui fondaient et pérennisaient ce contraire. La manière dont la République a considéré les femmes et les Indigènes est à cet égard exemplaire. On ne s’étonnera donc pas de la fascination permanente éprouvée par l’idéologie républicaine post-coloniale pour la femme indigène.

La tradition républicaine s’ancre, en France, dans le long combat mené par la bourgeoisie contre la monarchie - combat dans lequel elle eut pour allié constant les masses urbaines. Mettre fin à la monarchie, c’était mettre fin aux ordres de l’ancien régime - noblesse, clergé et tiers-état, mais aussi corporations et regroupements divers. L’une des premières lois républicaines consista ainsi à interdire la constitution de syndicats. Il s’agissait d’affirmer l’émergence du citoyen, libre de toutes attaches, valant seulement pour lui-même et par lui-même, l’homme atomisé et séparé, l’individu abstrait. Quant à la citoyenne, la femme, l’individue, on verrait bien quand on aurait le temps. L’avènement du citoyen était le corollaire républicain de la disparition du sujet. Sauf que.

Sauf que, d’une part, cette atomisation sociale caractérise plus la société bourgeoise en général que la République en particulier ; sans même discuter le côté vraiment monarchique ou presque républicain de certains épisodes de la Restauration (« La meilleure République, la voilà ! », disait La Fayette, présentant Louis-Philippe au Peuple), il suffit de penser aux sociétés européennes de forme ‘monarchique’, dans lesquelles institutions, relations sociales, façons de vivre, ressemblent plus à celles de la République qu’à celles de l’Ancien Régime : Espagne, Belgique, Pays-bas, Suède, Luxembourg, etc.

Sauf que, d’autre part et surtout, la République n’a jamais vraiment, depuis le milieu du XIXème siècle, oublié la catégorie de sujet. C’est le Code de l’Indigénat qui a construit ce qui serait un oxymore insupportable, si la République avait véritablement eu vocation à ressembler à son mythe, en donnant un statut juridique complet à ce qui existait déjà de façon partielle ou latente : des « sujets de la République ». Les Indigènes, ce sont ces habitants des colonies qui ne sont ni français - puisqu’ils n’exercent aucune citoyenneté, ni étrangers, puisqu’ils sont soumis à l’autorité exclusive de la France. Le seul embryon d’une législation de ce style était dans les chapitres du Code Civil relatifs à la famille, qui consacraient l’infériorité juridique de la femme, et singulièrement de la femme mariée ; mais il fallait les combiner avec, par exemple, certaines dispositions du Code électoral, ou certains usages validés par la jurisprudence, pour compléter le tableau permettant de mettre en évidence le troublant parallélisme entre l’Indigène et la femme française.

Dès lors que la République triomphante a ainsi, non seulement eu, mais constitué expressément des sujets, soumis à un statut d’infériorité de droit et à une situation d’infériorité de fait, l’affirmation que le principe égalitaire serait consubstantiel à la République porte manifestement à faux. Qu’on le répète à la nausée n’y change rien : on y verra juste un indice supplémentaire de la force du mythe. N’aurait-on pas bien ri des Indigènes s’ils avaient dit : « La République de l’Egalité est une réalité » ?

*
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