Ah, les idées simples...

Dubuc, Alain
Collaboration spéciale

La facture des deux futurs hôpitaux universitaires de Montréal ne fait qu'augmenter. La Presse révélait, plus tôt cette semaine, que le super Centre hospitalier de l'Université de Montréal, le CHUM, coûterait 1,7 milliard, plutôt que le 1,1 milliard prévu, tandis que le Centre de santé de l'Université McGill verra sa facture passer de 1,1 à 1,6 milliard.

Devant cette explosion des coûts, il n'est pas étonnant qu'un sondage Crop-La Presse révèle que 76 % des Québécois interrogés estiment qu'il vaudrait mieux fusionner les deux coûteux projets, pour construire un seul hôpital, bilingue, relevant des deux universités.

La solution est simple et attrayante. Mais elle ne tient pas la route. Ce sondage montre les limites de la démocratie directe. Il existe une telle chose que des dossiers complexes qui exigent des réponses complexes et qui se prêtent mal à un exercice collectif de gérance d'estrade. Pourquoi la fusion des deux futurs hôpitaux n'est-elle pas une solution viable?

Il y a, dans ce débat, des considérations politiques et culturelles sur lesquelles je ne veux pas beaucoup insister. Si la fusion semble attrayante, c'est en partie parce que l'idée de soutenir deux réseaux, un français et surtout, un anglais, agace en certains milieux. Montréal se tirerait dans le pied en affaiblissant une de ses grandes universités et se déshonorerait en cédant à la tentation de réduire la qualité des services à sa minorité.

Mais il y a un autre argument, encore plus incontournable, qui relève de l'arithmétique. Si toutes sortes de facteurs entrent en ligne de compte dans un projet d'hôpital universitaire, la considération première est de nature médicale: il faut pouvoir disposer de lits, de personnel et d'équipement pour soigner des gens et répondre aux besoins médicaux plus complexes, qui requièrent plus de technologie, plus d'innovation, plus de spécialisation.

Or, on l'oublie dans ce débat, Montréal est une grosse ville. Il y a deux millions d'habitants sur l'île. C'est beaucoup de monde, et cela veut dire beaucoup de malades. Et pour cela, il faut beaucoup d'hôpitaux, beaucoup de lits, beaucoup de médecins, beaucoup de personnel. Les hôpitaux d'un grand centre urbain comblent également certains besoins de la grande région, qui compte trois millions d'habitants, et parfois ceux de l'ensemble de la province.

Tout cela prend un réseau hospitalier imposant. Et c'est pour cela qu'il y a vingt centres hospitaliers à Montréal, dont certains sont liés aux universités de Montréal et de McGill. L'existence de ces deux réseaux, associés aux deux grands groupes linguistiques, amène bien des gens à plaquer à la réalité hospitalière des schémas qui ne s'y prêtent pas et d'y voir un effet de duplication qui mène au gaspillage. Ce n'est pas le cas. Si on additionne les lits et les ressources de ces deux réseaux, on découvre que Montréal n'est pas suréquipée, et que l'ensemble de ces ressources est nécessaire. C'est sur cette base qu'il faut réfléchir à la pertinence des futurs centres hospitaliers.

Le premier projet, c'est celui du CUSM. Il consistait d'abord à fusionner les cinq hôpitaux du réseau de McGill (Général, Enfants, Royal Victoria, Neurologique, Institut thoracique), et ensuite à les regrouper dans un seul lieu, un mégahôpital de pointe. Le projet a par la suite été revu à la baisse pour en venir à un hôpital de pointe plus modeste, de 500 lits, conjugué à la rénovation de l'Hôpital général pour combler les besoins plus traditionnels.

Le projet du CHUM, qui est né du désir du secteur francophone de ne pas être en reste, a suivi le même cheminement. D'abord, la fusion de trois hôpitaux (Notre-Dame, Saint-Luc, Hôtel-Dieu), ensuite une idée de mégahôpital, lui aussi ramené à des proportions plus modestes, un hôpital moderne de 700 lits associé à la rénovation de Notre-Dame.

Le fond de l'affaire, c'est que ces deux futurs hôpitaux remplacent chacun plusieurs hôpitaux. Et qu'arrive-t-il si on les fusionne en un seul? On sera en manque. À moins que cet hôpital unique soit vraiment énorme, 1200 lits et plus, mais alors on voit mal en quoi cela permettrait des économies d'échelle.

Mais si on se rabat sur un seul petit hôpital, Montréal manquera de lits, de salles d'opération, de personnel de qualité, d'équipement, d'espace pour soigner les gens qui ont besoin de soins de haut niveau. Il n'est pas non plus possible, tant pour des raisons physiques qu'organisationnelles, d'imaginer que deux grandes universités puissent asseoir leur enseignement et leur recherche sur un seul établissement de taille modeste.

C'est la qualité du réseau hospitalier montréalais qui est en jeu, tout comme la capacité de Montréal de se développer comme grande ville de savoir.

adubuc@lapresse.ca