Les guerres de l’eau
Les débats au Forum mondial de l’eau, à Mexico, ont rappelé qu’il faut s’attendre à ce que - dans les 20 à 30 prochaines années - s’ouvrent des conflits d'un nouveau genre : des « guerres de l’eau ». A terme, plus de la moitié de l’humanité est menacée de « stress hydrique », c’est-à-dire de manque de ressources hydrologiques.
Dans l'immédiat, c'est le règne de l'inégalité : un citoyen américain consomme 500 litres d’eau par jour, un Britannique, 200. La recommandation de l’Onu est de 50 litres; on peut se débrouiller, s’il le faut, avec 30 (5 pour la boisson, 25 pour l’hygiène)… Mais, dans beaucoup de pays africains, on doit se contenter de 10 litres par jour. Et parfois moins encore : 5 litres seulement en Gambie, par exemple.
En marge du Forum mondial de l’eau de Mexico, le bouillant président vénézuélien, Hugo Chavez, avait lancé : « Si l’eau devient une marchandise, nous devons nous préparer à des conflits armés ». Le ministre britannique de la Défense, John Reid, en est persuadé, lui qui vient de demander à ses forces armées de se préparer à ce type de conflits à dimension humanitaire, mais qui n’iront pas sans risques d’affrontements sévères, tant la ressource est vitale.
Alors que les désordres climatiques risquent d’affecter les réserves, la répartition de cette eau fait déjà problème, par exemple, en Amérique centrale : selon les Mexicains, presque toute l’eau du fleuve Colorado est pompée par 10 grands barrages américains; en revanche, les agriculteurs texans se plaignent de la pollution du Rio Grande. Plus au sud, il y a des tensions entre quatre pays latino-américains branchés sur l’énorme nappe souterraine du Guarani.
En Afrique, l’eau du fleuve Sénégal est disputée entre Sénégal, Mauritanie et Mali… Alger accuse la Libye de pomper dans ses nappes… L’Ethiopie compte établir une trentaine de barrages sur sa portion du Nil, suscitant l’inquiétude des autres Etats riverains, notamment de l’Egypte, entièrement dépendante du fleuve.
En Asie, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande redoutent les projets de « captation » d’eau par la Chine et le Laos, où les barrages hydroélectriques se multiplient. Le Tadjikistan et le Kirghizstan, en amont des fleuves, pompent de plus en plus pour développer la culture intensive du coton, au détriment du Kazakhstan, de l'Ouzbekistan, du Turkmenistan.
Au Moyen-Orient, la question du partage de l'eau est au coeur du conflit israélo-arabe, Israël consommant presque les neuf dixièmes de la ressource. Tandis que le projet de contrôle des eaux de l'Euphrate et du Tigre par la Turquie inquiète la Syrie et l'Irak.
Il y a donc urgence à trouver des solutions : la protection de la ressource, avec la création d'agences, de « syndicats » de pays riverains; le respect, par delà les frontières politiques, de « l'unité de bassin », selon un principe d'usage « équitable » et « raisonnable »; ou la mise en place de procédures de conciliation, comme ce tribunal latino-américain de l'eau, qui a siégé en marge du Forum de Mexico... Sinon, on risque un jour de voir les militaires s'en mêler !
par Philippe Leymarie