Le sommet Afrique-France s'est ouvert à BamakoPatrick de Saint-Exupéry
[03 décembre 2005]
POUR LA 23e FOIS depuis 1973, le rituel est lancé : la France et l'Afrique se retrouvent aujourd'hui à Bamako pour leur traditionnel sommet. Dans une capitale malienne pavoisée et vidée de beaucoup de sa population, plus de cinquante pays, soit la presque totalité de l'Afrique, vont deviser deux jours durant, en présence de la France, sur les perspectives du continent.
L'ordre du jour, à la hauteur des défis affrontés par l'Afrique, est chargé. La tendance reste constante : depuis 1988, date à laquelle décision fut prise de ne plus tenir un sommet France-Afrique que tous les deux ans, Paris se libère peu à peu de son rôle de puissance tutélaire tout en s'efforçant, héritage historique oblige, de conserver une capacité d'arbitrage et de conseil. Le 23e sommet ne déroge pas à cette règle non écrite. La présence à Bamako du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, et du commissaire européen au Développement, Louis Michel, témoigne de ce glissement : entre l'Afrique et la France, il est de moins en moins question d'un tête-à-tête. L'Elysée l'assume. «La relation entre la France et l'Afrique, assure-t-on, est entrée dans la modernité au cours des dernières années. La constante reste l'amitié, mais les efforts de coopération s'inscrivent maintenant dans un cadre international.» Et de citer, entre autres points forts, la réforme en cours du dispositif militaire déployé en Afrique où, à bien entendre les propos tenus, la France n'a tout simplement plus vocation à être «le gendarme du continent». N'hésitant pas à parler de «nouvelle orientation», une voix autorisée relève les critères de conditionnalité désormais appliqués à toute intervention militaire française sur le continent : appuyer les efforts de paix mais sous les seuls auspices de l'Union africaine (UA) et de la communauté internationale, unique gage de «crédibilité».
De «France-Afrique» à «Afrique-France»
Paris le sait bien, il n'y pas de choix. Entre l'Afrique et la France, un chapitre se clôt. Les glissements sémantiques en sont le symbole : encore intitulés «France-Afrique» voici quelques années, ces sommets sont devenus «Afrique-France». Ce n'est plus Paris qui, de sa hauteur, s'adresse à l'Afrique ; c'est, sous le regard de la France, de l'UE et de l'ONU, l'Afrique qui se penche sur ses déchirements, ses difficultés et son avenir.
Les contradictions accumulées pendant la dernière décennie obligent à l'aggiornamento. L'année 1994, marquée par la succession d'Houphouët-Boigny, la dévaluation du franc CFA et la tragédie du Rwanda, fut charnière. Qu'il s'agisse du politique, de l'économique ou du militaire, il y eut bascule. De ce moment, l'histoire entre la France et l'Afrique ne fut plus que celle d'une éprouvante et rude remise à niveau. Côté français, il fallut bien du temps avant qu'administrations et responsables prennent la mesure du changement en cours. Côté africain, il y eut un réel désarroi : longtemps adossés à Paris, nombre de dirigeants de pays francophones éprouvèrent comme un vertige face aux responsabilités qui leur étaient dorénavant pleinement échues.
La page des hésitations et des tâtonnements va être tournée à Bamako. Le thème choisi pour ce sommet, «La jeunesse africaine», a valeur de programme. Désireuses de s'extirper des mythes et de la seule évocation nostalgique du passé, l'Afrique et la France acceptent tout à la fois la remise à plat et l'entrée dans un nouveau monde.
Côté Paris, cela se traduit par des mots qui témoignent de l'acceptation des évolutions. Sur la question coloniale, par exemple, nulle ambiguïté : «53 pays, note-t-on, sont présents à ce sommet. Beaucoup, parmi eux, n'ont pas été des colonies françaises.» Et de rappeler des propos tenus par Jacques Chirac qui évoquait, en 1996 à Brazzaville, «le destin historique de l'Afrique» pour plus tard réaffirmer «l'exigence de porter un regard lucide sur le passé», car, poursuit-on à l'Elysée, il est un fait : «Un certain nombre d'événements qui s'étaient produits sont inacceptables.» Côté Afrique, la page est, en réalité, déjà tournée. Et Paris le sait bien qui dit vouloir désormais appuyer «la volonté de réforme de l'Afrique» en se faisant le chantre du continent auprès des «institutions politiques et financières internationales».
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