L'antiracisme perverti des " exotiques " et des " obscurantistes "
Espace ouvert et consensuel, l'antiracisme est une maison accueillante, où
chacun croit pouvoir venir poser son bagage politique. Cette noble demeure ne
prête pas toujours attention à la qualité de ses hôtes et ne s'enquiert pas
toujours si certains d'entre eux ont tout autre chose en tête que l'égalité des
droits ou la lutte contre les discriminations. En général, ces intrus ne font
que profiter du lieu, histoire de se réchauffer un peu, de s'y faire des amis et
puis, si possible, d'y mettre le feu.
Président de l'association SOS-Racisme depuis 2003, Dominique Sopo donne
l'alarme et désigne les incendiaires : " les exotiques ", à savoir cette
nébuleuse de militants qui, sous couvert d'antiracisme, s'emploieraient à
répandre un extrémisme communautariste résolument hostile aux valeurs
universalistes ; ceux-là enfermeraient les populations issues de l'immigration
dans une posture purement victimaire, à la fois infantilisante et
démobilisatrice, les réduisant " au statut d'indigènes passifs, incapables
d'écrire leur histoire et leur vie ".
APPRENTIS SORCIERS
Il y a plus : aveuglés par leur " mauvaise conscience postcoloniale ", ces
apprentis sorciers se laisseraient aller à de " douteux compagnonnages ". Cédant
aux sirènes du " corporatisme racial " (Dieudonné), comme à celles de l'islam
radical (Tariq Ramadan), ils auraient du même coup donné " leur imprimatur
antiraciste, féministe, altermondialiste ou laïc à ce discours rétrograde,
maquillé en progressisme aussi délicatement qu'une voiture volée ", affirme
Sopo. Lequel revient notamment sur le climat singulier qui fut celui du dernier
Forum social européen, à Londres, à l'automne 2004 : " Une partie substantielle
des débats sur le tiers-monde se déroula sous l'égide d'islamistes ", assure
Sopo, qui tient à réaffirmer que " la dignité ne se construit pas dans
l'oppression ".
Cette phalange " exotique ", qu'elle préfère quant à elle baptiser " gauche
obscurantiste ", Caroline Fourest dit l'avoir rencontrée bien plus tôt encore.
Quelques jours avant les attentats du 11 septembre 2001, à Durban (Afrique du
Sud) très exactement. Là, alors que se tenait une conférence organisée sous
l'égide des Nations unies, censée repenser la lutte contre le racisme, certaines
ONG ont transformé ce rassemblement international en " foyer d'agitation
antisémite et pro-islamiste ". Pour la fondatrice de la revue féministe
Prochoix, Durban fut un choc fondateur. Désormais, pensait-elle, il ne
s'agissait plus seulement de combattre l'ordre moral et l'intégrisme religieux,
il fallait dénoncer la collusion de certaines forces prétendument "
progressistes " avec les ennemis mêmes de la démocratie. Comme naguère le
stalinisme, en effet, l'islamisme pourrait aujourd'hui compter sur la
fascination morbide de quelques " compagnons de route " et autres " idiots
utiles ", qui lui confèrent à la fois visibilité et légitimité.
Sans toujours procéder avec toutes les nuances requises, Caroline Fourest dresse
ainsi la cartographie de la gauche politique, associative et féministe, pour
mettre en évidence le " fossé d'incompréhension " qui sépare désormais "
vigilants et non-vigilants ", c'est-à-dire " militants prioritairement
antitotalitaires " et " militants prioritairement tiers-mondistes ". Revenant
sur l'affaire Rushdie, les polémiques autour du voile islamique ou encore
l'appel dit des " Indigènes de la République ", la journaliste fustige à son
tour les " liaisons dangereuses " nouées par certains avec telle ou telle figure
de l'islam radical, " mouvement liberticide, sexiste, homophobe, expansionniste
et totalitaire ". Et de conclure : " Le risque ne vient pas des Français
d'origine maghrébine, ultramajoritairement laïques, mais bien de cette gauche
obscurantiste prête à fournir les commissaires politiques et les petits soldats
qui manquent aux intégristes. "
J. Bi.
S.O.S ANTIRACISME,
de Dominique Sopo,
Denoël, " Indigne ", 142 p., 10 ¤.
LA TENTATION OBSCURANTISTE,
de Caroline Fourest,
Grasset, 168 p., 9 ¤.